Les années Budzynski #1 >>>
Louis Fonteneau appréciait Budzynski, à la fois comme joueur et en tant qu'homme. C'est lui, alors qu'il était encore un tout jeune président (il avait été élu en 1969), qui eut l'idée, en 1970, de créer un poste à sa mesure : directeur sportif. Il s'agissait surtout d'établir le lien entre les dirigeants et les joueurs. D'un côté les bénévoles qui avaient le pouvoir de décision, de l'autre les professionnels qui constituaient la force vive du club. Quelqu'un dont les compétences lui permettraient de faire autorité dans tous les secteurs, à la fois auprès des dirigeants, des joueurs et des administratifs. On était en 1970 et le FC Nantes innovait puisque nulle part ailleurs on ne trouvait pareil emploi.
Pour Budzynski, ce fut le début d'une seconde carrière. Très vite, il élargit son registre et sut se rendre indispensable, en s'occupant notamment du recrutement. C'est lui qui alla chercher Marcos et Bargas en Argentine. C'est lui aussi qui rendit la détection des jeunes quasi-systématique et fit signer la majeure partie des joueurs qui, quelques années plus tard, composaient l'équipe championne de France 1977. On garde de ces années-là l'image d'un bourlingueur, prêt à foncer dans un avion à destination de l'Amérique du Sud, en Argentine de préférence, pour en ramener quelque gaucho à la technique de chat dont il obtenait la lettre de sortie quelques minutes avant l'heure limite.
Sous le feu de la critique
Devenu un personnage incontournable du club, un véritable repère, il veillait aussi à préserver les valeurs léguées par Arribas et il en résulta quelques différends épiques avec Jean Vincent dont l'enthousiasme ne parvenait pas toujours à masquer certaines lacunes tactiques. Budzynski s'occupait de tout, de la façon de jouer, surtout quand il n'était pas d'accord, des contrats, des progrès des pensionnaires du centre de formation, des transferts.
Les années passèrent, les présidents aussi, et il demeurait en place, toujours aussi influent. Il était toutefois devenu moins heureux dans son recrutement, on pense par exemple à Jacovjelvic et Olarticoechea. Il s'en expliquait en disant que l'enveloppe financière dont il disposait était moins épaisse que celle de bon nombre de ses rivaux. L'éclosion de la génération dorée de 1992-95 limita l'influence du recrutement, il s'agissait alors davantage de conserver les meilleurs joueurs que de chercher à en acheter mais le directeur sportif emblématique se retrouva sous le feu de la critique, en même temps que Guy Scherrer, au début de la saison 1996-97. Pour la première fois, on entendit des « Budzynski-démission ! » aux portes de la Beaujoire. On sut que la nouvelle génération des supporters le respectait moins que les précédentes, qu'elle ne se souvenait pas de sa carrière de joueur et qu'elle n'avait pas peur de déboulonner les statues, surtout quand elles étaient vivantes. Les cris résonnèrent d'ailleurs de nouveau, et plus fort encore, un an plus tard.
Dissensions avec Gripond
La cote de Bud n'était plus aussi haute qu'autrefois et le faible rendement de bon nombre d'étrangers inconnus, achetés à la va-vite, ne fit rien pour l'améliorer. La filière sud américaine était tarie, du moins n'amenait-elle plus les joyaux d'autrefois, Nestor Fabbri étant l'exception qui confirma la règle. La venue de Jean-Luc Gripond constitua un nouveau tournant car, très vite, l'homme de football s'aperçut que son désormais supérieur hiérarchique ne connaissait strictement rien au jeu et qu'il essayait, malgré tout, de marcher sur ses plates bandes. Les techniciens n'étaient plus les maîtres, pour le malheur du FC Nantes. Les relations entre les deux hommes se détériorèrent lentement au fil des mois et durant l'été 2004 le président piqua une sale crise d'autoritarisme. Il demanda à Budzynski de ne pas s'occuper du recrutement. Ce dernier s'étant révélé un fiasco, le directeur sportif eut ensuite beau jeu de le souligner. Son patron accepta d'autant plus mal ses réserves qu'il souffre d'incompétence. En guise de représailles, il refusa de lui prolonger son contrat de travail au-delà de ses 65 ans, c'est à dire en mai 2005.
Il aurait dû défendre Suaudeau et Denoueix
Rudi Roussillon n'a pas modifié cette situation. Il s'est borné à charger Budzynski d'expédier les affaires courantes jusqu'à fin août. C'est ainsi un véritable chapitre de la vie du club qui va s'achever, un peu dans la douleur car Bud, de toute évidence, aurait souhaité une autre sortie. Moins hâtive.
Mais on ne reste évidemment pas aussi longtemps dans un club sans susciter quelques divergences, plus ou moins profondes. Il est par exemple dommage que Bud en soit arrivé à une situation de divorce avec Guy Hillion, durant l'été 2000. On remarquera aussi, c'est toutefois plus anecdotique, qu'il a souvent entretenu des relations frigides avec la municipalité, à laquelle il reprochait de ne pas aider suffisamment le club. Jean-Marc Ayrault cherche, il est vrai, plutôt à se servir du FC Nantes qu'à le servir, il reste que bon nombre de maires, surtout quand ils sont fortement politisés, agissent de cette manière. « Je ne veux pas polémiquer, a dit récemment Ayrault à ce sujet, il y aurait trop à dire. » C'est une réaction un peu facile, on veut croire que chacun se bornait à défendre son camp.
Au bout de 42 ans, l'usure du pouvoir aidant, Robert Budzynski ne pouvait donc plus rallier l'unanimité et à l'heure où le rideau s'affaisse les critiques se mélangent aux éloges. On se plaisait cependant à croire, durant ces derniers mois, que dans l'affairisme où Gripond avait engagé le club, Bud restait parmi ceux qui privilégiaient encore le plus important, c'est-à-dire le technique. C'est pourquoi d'ailleurs les deux griefs qu'on reste enclin à lui adresser concernent essentiellement la façon dont il laissa Bouyer et Gripond, deux incapables, se séparer de Suaudeau et de Denoueix, deux génies du jeu. Robert Budzynski aurait dû alors se faire davantage entendre. Se révolter peut-être. On n'ose supposer qu'il était d'accord.
B.V. le 29 juillet 2005
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