On le savait déjà, et depuis longtemps hélas, mais Jean-Luc Gripond a tenu à le rappeler : il n'est pas fait pour le FC Nantes.
C'est la première conclusion qui se dégage quand on a lu son interview parue sur le site officiel du club. Il prononce notamment cette terrible sentence, aveu de son incompréhension totale de la philosophie du club dont il précipite l'inexorable déclin depuis près de quatre ans : « Je symbolise le football de la rigueur, pas celui du rêve. »
Terrible sentence
C'est terrible. Oui, terrible, parce que le FC Nantes est justement le club qui a fait rêver pendant une bonne quarantaine d'année, celles qui ont précédé l'arrivée d'un président salarié que dans les couloirs de la Jonelière on surnomme « Croquemort ».
C'est terrible. Oui, terrible, parce que José Arribas a bâti ses équipes en s'opposant de toutes ses forces et de tous ses nobles idées aux tenants du football-rigueur et réaliste qui, dans les années 1960, s'appelaient Bordeaux, Lyon et Strasbourg. Les ennemis de Nantes à l'époque, à la fois sur les pelouses et dans les conceptions qu'ils incarnaient.
« Faites-moi rêver, » avait dit Scherrer
C'est terrible. Oui, terrible, parce qu'il nous souvient que Guy Scherrer, lorsqu'il prit le club en mains, en 1992, se tourna vers Jean-Claude Suaudeau et lui lança fièrement : « Je ne vous demande qu'une chose : faites-moi rêver ».
Gripond nous répondra certainement que ces temps sont révolus et que l'économie prend aujourd'hui le pas sur tout le reste. Foutaises ! Car où a-t-il vu que le rêve n'est pas synonyme de victoires ? Et donc, puisqu'il y tient, de profits financiers. Et croit-il qu'en 1960, 70, 80 ou 90 il était facile d'équilibrer un budget ? Il est probable au contraire que la tâche était autrement plus ardue car l'argent ne coulait pas, comme actuellement, à flots continus sur des clubs qui le jettent par les fenêtres. Scherrer avait hérité d'un déficit de 65 millions de francs, il disposait de 10 ans pour le combler, il le gomma en six années. Parce que Suaudeau l'avait fait rêver, lui et tous les amoureux du football. Parce que Nantes avait privilégié le jeu. C'est avec une équipe de rêve que Nantes fut champion de France en 1995. Pas avec une politique de tristesse, de rigueur, d'ennui.
« Je ne connais pas l'histoire du club »
Il nous souvient d'un soir de décembre 2001, alors que Nantes, tout en restant fidèle à ses principes, avait momentanément glissé vers la queue du classement. Cette situation, qui n'avait pas empêché les Canaris de se qualifier pour la deuxième phase de la Ligue des Champions, avait provoqué la remise en cause des méthodes de Raynald Denoueix. L'héritier de Suaudeau était menacé. « Limoger un entraîneur en cours de saison, c'est un événement très rare dans l'histoire de ce club… » fîmes-nous observer à Gripond, lequel, en place depuis tout juste trois mois, était prêt à tristement sceller le sort d'un entraîneur pourtant hors du commun. « Monsieur, je ne connais pas l'histoire du club, »rétorqua-t-il bêtement, sur un ton fleurant la sottise supérieure, comme s'il croyait, le pauvre, que l'ignorance constitue un atout.
On peut pourtant penser que le premier soin d'un bon manager, quand il entre dans une entreprise est d'en apprendre l'histoire et de s'imprégner de sa philosophie. On a bien écrit : un bon manager. Gripond se croyait suffisamment fort pour se dispenser de cet effort minimal, lequel relève pourtant, aussi, de la moindre des politesses. Lui, il le dit, il le clame même, il ne s'intéresse qu'à la rigueur.
Déficit de 4,5 millions d'euros
Mais revenons à son interview qui constitue un beau tissu de langue de bois, d'imprécisions, d'incertitudes. Visiblement, Gripond ne maîtrise rien. Même pas l'économie puisqu'il reconnaît l'existence d'une perte de 4,5 millions d'euros. Il se fait tout de même fort de le combler d'ici le 31 décembre. « Nous avons d'autres types de ressources » dit-il. Entend-il vendre des joueurs ?
A ce propos, et ça c'est une bonne nouvelle, la seule qu'il nous distille, il affirme : « Nous avons choisi de ne pas vendre Toulalan ». Espérons qu'il ne procédera pas à d'autres ventes, genre Landreau. Par contre, si c'est Viveros et Caceres qu'il veut céder, on n'en fera pas une maladie, avouons-le. On doute toutefois qu'il en tire 4,5 millions d'euros. Et en attendant, la DNCG pourrait se charger de le rappeler à l'ordre.
Indemnités de licenciement
Quelques autres déclarations de l'encore président du FC Nantes mérite des commentaires. Allons y :
A la question : « depuis quelques semaines, votre départ est annoncé, qu'en est-il ? », il répond : « Que je reste ou que je parte, c'est à traiter au niveau de l'actionnaire et au niveau personnel… La question sera tranchée avant la fin du mois ». En clair, cela signifie que Gripond, s'il doit partir, négocie auparavant ses indemnités de licenciement, elles seront coquettes et c'est le FC Nantes (pas Dassault) qui les paiera. A défaut, un reclassement dans l'une des sociétés de Dassault lui conviendra peut-être. On ne sait jamais : il y a peut-être une autre branche à couper.
« Je ne vais pas désigner untel ou untel »
A la question : « Jean-Luc Gripond est-il responsable de tous les maux », il répond
« il n'est pas de mon propos de montrer du doigt les autres, que chacun regarde en face ses propres responsabilités, parce que si on se contente d'une simplification réductrice, dire que tout est de la faute de Gripond, le FC Nantes n'avancera pas. Je ne vais pas désigner untel ou untel.. » On espère tout de même que l'analyse vaut aussi pour le président, c'est à dire qu'il « regarde en face ses propres responsabilités ». Et qu'il en tire les conclusions. Quant à ne pas désigner untel ou untel, soit, pourtant il est absolument nécessaire de trouver ce qui ne va pas. Au niveau de Gripond, bien sûr, à d'autres aussi, éventuellement. Si, si monsieur Gripond, il faut trouver les responsables , c'est indispensable.
« L'actionnaire n'est plus insensible »
A la question « Vous rencontrez régulièrement l'actionnaire, quel intérêt manifeste-t-il aujourd'hui pour le FC Nantes ? », il répond : « Les choses évoluent, le changement d'entraîneur cet hiver, la fin de saison et le final face à Metz n'ont pas laissé l'actionnaire insensible ». Franchement, qu'est-ce que ça veut dire ? Les choses évoluent, mais comment ? Dassault s'enticherait-il du FC Nantes ? Ou au contraire en a-t-il de plus en plus horreur ? Veut-il vendre plus cher ? Moins cher ? Garder ? Soyez clair M. le Président, ça changera.
« Avec Dassault, il n'est question que de football »
A la question « le fait de discuter avec monsieur Roussillon a-t-il changé la nature des échanges avec l'actionnaire ? », il répond : « C'est un très bon signe pour le FC Nantes car c'est un proche de monsieur Dassault, quelqu'un de la maison mère s'intéresse au club ». Si on comprend bien, jusqu'à présent, Dassault ne s'intéressait absolument pas au club. C'est quand même grave, non ? Gripond le confirme d'ailleurs un peu plus loin lorsqu'il dit que la saison a été dure à vivre en raison du « silence de l'actionnaire sur les options fondamentales du club ». Mais qu'est-ce que c'est que cet actionnaire qui ne s'intéresse pas à ses sociétés ? Il est si nul que ça Dassault ? Notons encore ce « détail » savoureux relevé dans les déclarations présidentielles « Avec Dassault, il ne peut être question que de football et seulement de football ». Ah bon ? On croyait que ce cher Monsieur Serge aimait aussi parler d'argent…S'il se met à parler football, cela risque d'être franchement comique. On bout d'impatience.
Vivre les Gripond-démission…
On passera sur d'autres déclarations plus ou moins lénifiantes, on retiendra cependant le « cette année, on sait à quoi nous avons droit », précision apportée à propos du recrutement . Précision est d'ailleurs un bien grand mot puisque, justement, Gripond ne parle d'aucune somme. On ne saurait toutefois passer sous silence cette question : « Vivre au quotidien les « Gripond démission » ne vous a-t-il pas incité à partir ? » L'interrogation est on ne peut plus claire. Eh bien, le président du FCNA trouve le moyen de répondre dans le vague, pour ne pas dire à côté. Il dit : « Si nous n'avons pas de projet pour durer, il n'est pas acceptable de rester. Il faut une ambition de l'actionnaire, acceptée par les principaux collaborateurs et les supporters du club ». C'est qui le « nous » ? En tout cas, on ignore si les Gripond-démission l'ont incité ou pas à partir. Visiblement, c'est non, puisqu'il est toujours là ! Peut-être est-il sourd ? Quant à la conclusion, elle mérite elle-aussi le détour. Gripond tranche : « De toute façon, c'est le FC Nantes, il a donc un bel avenir ! » Quel argument ! Le FC Nantes, tout FC Nantes qu'il est, ne vient-il pas d'échapper d'extrême justesse, par miracle, à la descente ?
B.V.
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