Frédéric Thiriez n’en a franchement
pas l’air comme ça, avec sa moustache conquérante
et son ton de donneur de leçons, mais c’est
un grand plaisantin. Ainsi quand il prétend que l’AC
Ajaccio sera relégué en Ligue 2 et même
en national si son stade n’est pas mis aux normes
il fait sourire toute la France. Et en Corse, on ne vous
dit pas : tout le monde se roule par terre.
Parce que Thiriez fera comme ses copains qui se sont succédés
à la tête de la Ligue ou de la Fédération,
il reculera. Sinon comment expliquer que la situation perdure
déjà depuis plusieurs saisons. Qu’elle
s’éternise aussi à Bastia. Ou que par
exemple les fumigènes soient interdits sur le Continent
(ce qui ne les empêche pas d’enfumer régulièrement
les tribunes) alors que les bombes agricoles éclatent
en toute impunité à Furiani ou à François-Coty.
La façon même dont Thiriez assène ses
prétendues menaces indique d’ailleurs qu’elles
seront sans effet. « Ajaccio a jusqu’à
la fin juillet pour se mettre aux normes », indique-t-il.
Ah bon ? Mais le calendrier ne sera-t-il pas publié
plusieurs semaines auparavant ? Le président de la
Ligue prétend donc que trois ou quatre jours avant
le départ du championnat, il est capable de décréter
que l’ACA est rétrogradé et de le remplacer
par un autre club. On demande à voir.
Mais on ne verra pas. Tout simplement parce que Frédéric
Thiriez, qui se dit pourtant spécialiste en Droit,
se mettrait ainsi en infraction avec la loi. Et que si Ajaccio
faisait un procès à la Ligue celle-ci perdrait
à tous les voyages.
La semaine dernière Jean-François Lamour a
ainsi indiqué à l’Assemblée Nationale
qu’un décret d’application portant sur
l’article 17 de la loi de 1984 sur le sport et reprenant
l’avis du Conseil d’Etat émis en novembre
2003 verra le jour avant la fin de l’année.
Parce qu’imaginez-vous qu’à la demande
du ministre des sports et de multiples élus locaux
préoccupés par les dérives coûteuses
occasionnées par les règlements des instances
du foot, le Conseil d’Etat s’est penché
sur la question des normes édictées par les
fédérations et les ligues sportives. «
Des normes, estime-t-il, souvent décidées
unilatéralement et parfois sans fondement légal.
»
Le décret d’application d’une loi qui
existe donc déjà et que Thiriez voudrait bafouer
est sans détour. Il dit : « Seules les fédérations
ont le pouvoir de fixer des normes et leur champ de compétence
se limite à l’aire de jeu, aux vestiaires et
aux locaux anti-dopage ». On savourera la présence
dans ce cahier des charges imposées du local anti-dopage
mais on peut penser que l’AC Ajaccio n’aura
pas trop de mal, même si sa pelouse est parfois du
genre champ de patates, à se mettre en conformité.
On remarquera surtout que ce sont les fédérations
qui ont un pouvoir et non les ligues. Thiriez n’a
donc qu’un seul droit sur ce chapitre : la fermer.
En revanche, la fédération est dans son bon
droit quand elle exige certaines dimensions minimales pour
les terrains où se disputent les matches de Coupe
de France. Obliger Boulogne à jouer Lens à
partir des quarts de finale ne va pas à l’encontre
du décret. La Ligue, elle, a, par contre, manifestement
lésé Istres en le contraignant à évoluer
à Nîmes.
Vous direz : et les capacités minimales des stades
? Ne faut-il pas un stade d’au moins 20.000 places
en Ligue 1 ? Eh bien, c’est une mesure tout à
fait abusive, le décret est on ne peut plus clair
sur le sujet. Il dit : « les décisions à
caractère commerciale (éclairage, capacité
des stades) ne peuvent relever que de préconisations
».
Et vloum : dans la figure à Thiriez !
On peut se demander si une ville comme Gueugnon, 11.000
habitants, qui a été obligée, en 1995,
pour une saison en D1, de construire un stade de 15.000
places, dont un tiers au maximum est occupé à
chacun des matches du club local, aujourd’hui en L2,
ne serait pas en droit de demander des dommages et intérêts
à la Ligue.
En tout cas, il vaut mieux ne pas compter aujourd’hui
sur une rétrogradation de l’AC Ajaccio pour
sauver sa place en Ligue 1.
Beaucoup penseront aussi que les déclarations de
Thiriez ne sont pas innocentes. Il n’entend pas vraiment
menacer Michel Moretti, le président d’Ajaccio
puisqu’ils sont amis, mais faire pression sur la municipalité
d’Ajaccio afin qu’elle prenne en charge le coût
des travaux. La ficelle est si grossière que le maire
d’Ajaccio, Simon Renucci, a réagi hier : «
Les propos de Thiriez, estime-t-il, participent d’une
stratégie visant à prendre en otage la ville
d’Ajaccio et à extorquer aux élus des
engagements financiers qu’ils n’ont pas les
moyens d’honorer. » Ayant assimilé le
club de l’ACA à ce qu’il est, une entreprise
commerciale, le maire ajaccien poursuit : « Faut-il
que les collectivités locales assument les charges
d’une telle activité avec l’argent du
contribuable, tandis que d’autres s’en partagent
les bénéfices, notamment les droits TV ? »
La question est intéressante, on attend la réponse
de Thiriez et des ses collègues présidents
qui se plaignent souvent des différences fiscales
avec les clubs étrangers. Or, à ce qu’on
sache, quand il veut se construire un nouveau stade, Arsenal
par exemple ne va pas mendier auprès de sa municipalité.
(B.V.)
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