L'un des plus chauds partisans de José Arribas Thébaud est mort l'autre semaine, à 94 ans, à Quimperlé, à quelques encâblures de la chaumière bretonne où il s'était retiré, à la fin de sa longue, remarquable et exemplaire carrière de journaliste.
Sa disparition est de celles qui ne peuvent pas laisser indifférents les amoureux du football à la nantaise. Car s'il est une plume qui défendit ardemment le football offensif, technique, imaginatif, le jeu en mouvements où la création prend le pas sur les chaînes du marquage, ce fut bien celle de François Thébaud. Il fut, évidemment, l'un des plus chauds partisans de José Arribas lorsque ce dernier, au début des années 1960, entama au FC Nantes la révolution tactique et technique qui allait conduire ce club aux sommets alors qu'il n'avait connu précédemment que la 2è division et ne s'était jamais vraiment distingué de la masse de ses concurrents. Le football construit engendre plus de plaisir que la destruction François Thébaud avait lancé en 1960 un magazine quasi-mythique, « Le Miroir du Football », qui complétait l'hebdomadaire « Miroir Sprint ». Dans l'un comme dans l'autre, il s'attachait à démontrer que le football est un art davantage qu'un combat, qu'attaquer et imaginer engendrent infiniment plus de plaisir pour les joueurs et les spectateurs que défendre et détruire. Les idées qu'il propageait étaient celles d'Arribas et « Le Miroir » fut le premier à déceler qu'un futur glorieux attendait les Canaris, dès lors qu'ils ne dérogeraient pas aux préceptes de leur inspirateur. Ainsi quand Nantes fut éliminé par Bordeaux en demi-finale de la Coupe de France 1964, à Marseille, « Miroir Sprint » vanta beaucoup plus la qualité du jeu des Canaris que la victoire bordelaise. L'avenir, c'est Nantes, écrivait-il Les médiocres étaient leurs adversaires Il avait d'autant plus de mérites, et Arribas avec lui, que cette philosophie de jeu ne suscitait pas forcément la sympathie. On la combattait même vigoureusement dans d'autres organes de presse attachés surtout à mettre le résultat en avant, sans se soucier des moyens utilisés pour l'obtenir, fussent-ils des plus condamnables. C'est si facile de voler au-devant d'un succès, sans se soucier de savoir s'il aura un lendemain. Il existait alors chez les esprits simples un raisonnement assez primaire qui voulait faire croire que lorsque Nantes perdait c'est parce qu'il avait trop bien joué. Les mêmes, quand Nantes gagnait, ce qui arrivait de plus en plus souvent, oubliaient de mettre en relief le football qui avait permis de parvenir à la victoire... Un jeu qui est de toutes les époques On connaît l'histoire et on sait qu'elle donna raison à Nantes qui monta enfin en 1ère divison puis enleva deux titres consécutifs de champion de France, en 1965 et 1966. Le football à la nantaise était né et pendant quarante ans, grâce à José Arribas puis à ses héritiers, Jean-Claude Suaudeau et Raynald Denoueix, il permit au FCN de demeurer l'une des équipes les plus glorieuses et les plus appréciées du football hexagonal. Il est d'ailleurs bon de souligner, à l'heure ou des techniciens sans idées vraiment claires voudraient nous dire que ce jeu-là est dépassé, qu'on en a au contraire retrouvé les idées de base, à commencer par le mouvement, la qualité des passes, la conservation et la circulation du ballon dans le jeu de l'équipe d'Espagne. Le football prôné par Arribas, louangé par Thébaud, n'est pas dépassé, il est éternel. Et à la fois séduisant et efficace, aujourd'hui comme hier, il suffit de s'appliquer à le mettre en oeuvre pour que la vérité illumine les pelouses. Et on ne peut que regretter aujourd'hui que Nantes se soit détourné du jeu qui constitua son originalité et lui donna une véritable identité. Licencié à cause de ses idées Curieusement, mais il n'y eut aucune relation entre les deux événements, José Arribas et François Thébaud quittèrent tous deux la maison de leur coeur en 1976. Thébaud fut en quelque sorte victime de Saint-Etienne, alors ennemi juré et philosophique de Nantes. La France était en pleine fièvre verte et les propriétaires du « Miroir du Football », désirant exploiter le filon, voulurent qu'on n'écrive plus que du bien du football pratiqué en Forez et des méthodes qui y avaient cours. Thébaud en pensait plutôt du mal, il refusa de renoncer à ses idées et son idéal Il fut licencié. Mais il resta fidèle à ses belles idées, à ses nobles principes. Il alla enchanter les lecteurs de... Lausanne, à l'initiative de l'ancien footballeur Norbert Eschmann que Thébaud avait orienté vers le journalisme à la fin de sa carrière et qui était devenu l'un des chroniqueurs helvétiques les plus avertis. Kopa lui offre une exclusivité François Thébaud qui avait commencé à écrire juste après la guerre n'a pas seulement milité en faveur du football à la nantaise. Il fut aussi un fidèle soutien du Stade de Reims, d'Albert Batteux et de l'équipe de France des années 1950, notamment celle de 1958. Il a écrit un livre sur Pelé car il aimait aussi, bien sûr, le football brésilien de cette époque-là. Il fut également l'ami de Justo Fontaine et de Raymond Kopa. Rien que du beau monde et lorsque Kopa fut transféré du Real Madrid au Stade de Reims, en 1959, il tint à offrir l'exclusivité de sa signature à « Miroir Sprint », lequel en fit une grande photo à la une. Le directeur du magazine estima qu'un tel cadeau valait bien qu'il débouchât une bouteille de champagne et lorsqu'il alla trinquer avec Kopa, il crut bon de lui glisser : « merci Raymond pour ce que vous venez de faire pour le journal ! » « Monsieur, répliqua le maestro, ce que j'ai fait ce n'est pas pour votre journal, c'est pour François. Parce qu'il m'a toujours défendu, et à travers moi le football que je joue. Parce que c'est le vrai football et parce qu'il est courageux. » Un football colectif, plus beau, plus pur... Thébaud milita également pour le contrat à temps qui fut instauré en 1969, il soutint le syndicat des joueurs créé par Eugène N'Jo Lea, Just Fontaine, Michel Hidalgo et il alla jusqu'à investir le siège de la Fédération en mai 1968. « Le football aux footballeurs » revendiquait gaillardement une banderole placardée à un balcon de l'immeuble de la FFF (*). « Le Miroir » se montrait souvent novateur, il fut notamment le premier à estimer qu'il était juste qu'une équipe put remplacer un joueur lorsqu'il était blessé. Il mena campagne en ce sens et bientôt on vit apparaître le « 12è » puis le « 13è » homme. Comme José Arribas, François Thébaud exaltait les vertus d'un football plus beau, plus pur, plus sain, où le jeu prédominait sur l'aspect commercial, où l'inspiration collective prévalait sur l'individualisme. Un football qui aussi gagnait et contribuait à exalter chez les joueurs ce qu'il y avait de meilleur. Il continua à suivre les rebonds du ballon rond qu'il avait tant aimé et si bien servi jusqu'à presque la fin de sa vie. Frappé depuis quelques temps par la maladie d'Alzheimer, il avait eu le malheur de perdre sa compagne l'an passé. Il est mort d'un cancer des os. B.V., le 2 juillet 2008 Liens : (*) Livre : Les enragés du football : l'autre Mai 68 François Thébaud : Le visage du football et sa carricature Une de Miroir du Foot : Nantes sur la voie d'un avenir radieux François Thébaud : 1er numéro de Miroir Sprint
>>> Mémoires canaris
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