Les années Budzynski #2 >>>
Ceux qui connaissent Robert Budzynski depuis seulement quelques années ne s'en doutent probablement pas, ils auront peut-être même du mal à le croire, mais ce directeur sportif affable, tout proche de la retraite, habile en négociations, expert en communication, fut autrefois un jeune homme au caractère bien trempé auquel il ne faisait pas bon marcher sur les pieds. Il fut aussi un footballeur dont la forte personnalité ne s'accommodait guère des compromissions.
Mais Robert Budzynski restera d'abord, disons le tout net au moment de commencer, comme un personnage de grande fidélité, n'ayant connu que deux clubs dans sa vie de footballeur et de dirigeant : le Racing Club de Lens et le FC Nantes.
Enfant des corons
Le premier fut celui de son adolescence, tout simplement parce que, dans les années de l'après-guerre, Bollaert était la destination privilégiée de la majeure partie des fils des émigrés polonais, venus creuser les mines du Nord et du Pas de Calais deux ou trois décennies plus tôt. Pour ces gamins qui apprenaient à jouer au ballon sur les rues pavées ou boueuses des corons, le foot, dès lors qu'ils étaient doués, constituait la bouffée d'oxygène qui leur permettait d'échapper à la silicose auxquels leurs frères, restés mineurs, se trouvaient invariablement promis, à l'approche de la cinquantaine. Alors ils s'y jetaient volontiers à corps perdu, ajoutant à la technique qu'ils avaient forgée dans leurs matches de quartier, sur le tas, une volonté d'autant plus forte qu'ils savaient, pour l'avoir côtoyée de près, ce qu'était la vraie misère.
En ce temps-là, Lens possédait un directeur sportif à l'œil exercé dont l'essentiel des loisirs consistait à sillonner les cités minières, au volant de sa deux-chevaux. Dès qu'il voyait un ballon rebondir, il s'arrêtait et il regardait. Un jour, l'une des ses promenades le conduisit à Calonne-Ricouart où on lui avait signalé l'existence d'un gamin de 15 ans aux qualités prometteuses, un certain Budzynski. Il ne lui fallut pas longtemps pour se rendre compte que les renseignements étaient bons et il n'eut besoin que de quelques minutes supplémentaires pour convaincre la famille du petit Robert que, s'il se décidait à porter le maillot sang et or, il aurait toutes ses chances d'entrer un jour dans le grand dictionnaire du football nordiste.
« Plutôt ne pas jouer que d'aller dans un club qui ne me plait pas »
Henri Tranin se trompait rarement : à peine trois saisons plus tard Budzynski effectuait ses débuts en Division 1. Défenseur solide, efficace, réfléchi, doté d'un bon jeu de tête et appliqué dans la relance, il s'imposa rapidement comme l'un des meilleurs éléments de Lens. Si bien que lorsque le club artésien éprouva quelques petits problèmes financiers, ses dirigeants n'hésitèrent pas à le placer sur la liste des transferts. C'est là qu'ils s'aperçurent que Budzynski n'était pas du genre à accepter n'importe quoi. « On va te vendre au Racing Club de Paris, » lui annoncèrent-ils. « Pas question ». « Mais ils ont de l'argent ». « Peut-être mais ils ne possèdent pas d'avenir sportif.» « Puisque c'est ainsi, tu ne joueras plus avec Lens... » « Tant pis, je préfère ne pas jouer plutôt que d'aller dans un club qui ne me plait pas. »
Dans un premier temps, les dirigeants artésiens avaient éclaté de rire, persuadés que Budzynski ne leur tiendrait pas tête très longtemps. Ils avaient dû déchanter. La situation s'était bloquée, chacun campant sur ses positions et lorsqu'en novembre 1963 le FC Nantes se déclara à son tour intéressé par un transfert, tout le monde se montra bien content de sortir enfin de l'impasse : Lens parce qu'il encaissait un chèque honnête et cédait un joueur dont il ne servait plus, Budzynski car il s'en allait dans un club qui l'inspirait.
Il adhère aux idées d'Arribas
D'emblée, il se sentit à l'aise dans une équipe qui venait tout juste d'accéder à la Division 1. José Arribas peaufinait un style de jeu auquel Robert adhéra totalement et il devint l'un des piliers d'une défense qui jouait de manière offensive et intelligente, en se servant volontiers du hors-jeu.
Plus de quarante ans après, à l'heure de débarrasser son bureau de la luxueuse Jonelière, Budzynski est mieux placé que quiconque pour mesurer le chemin parcouru par le FC Nantes sur le plan des infrastructures. « A l'époque, raconte-t-il, les séances d'entraînement avaient lieu au Parc de Procé. José Arribas nous en donnait l'heure exacte la veille. Il transportait les ballons dans le coffre de sa voiture, on se déshabillait sous une petite tribune, dans un vestiaire exigu. L'hiver, il nous arrivait d'amener du bois pour faire chauffer l'eau de la douche. »
Mais avec ses copains de jeunesse, ils ne prêtaient pas attention à ces conditions précaires. Ils prenaient plaisir à vivre ensemble, à s'entraîner, à jouer. Et à gagner. Car bientôt Nantes pratiqua le plus joli football de France et il conquit deux titres coup sur coup, en 1965 et 1966.
Il fait la rébellion chez les Bleus
Robert Budzynski, parfois surnommé « le shérif » pour son aptitude à rattraper un adversaire ayant échappé à la défense en ligne nantaise, se situait alors au sommet de sa carrière et les journalistes se plaisaient à souligner l'intelligence qu'il manifestait, à la fois sur le terrain et en dehors. Aussi, est-ce tout naturellement qu'il se retrouva dans l'équipe de France qui s'en alla disputer la Coupe du monde 1966, en Angleterre. La compétition tourna à la catastrophe, par la faute d'un sélectionneur, Henri Guérin, poussant sa troupe vers un football rétrograde, axé sur la défensive. Deux joueurs alors sortirent du rang et décrétèrent qu'il fallait jouer différemment. Robert Budzynski était l'un d'eux et sans doute la rébellion de Mickaël Landreau, près de quarante ans plus tard à la Jonelière, lui a-t-elle rappelé des souvenirs. Le complice de Bud était le Stéphanois Robert Herbin et tous deux convainquirent, sans trop de mal d'ailleurs, leurs coéquipiers de laisser le sélectionneur ruminer tout seul ses études tactiques et de pratiquer un football correspondant davantage à leurs qualités. Il ne restait qu'un match, c'était contre l'Angleterre à Wembley, les Bleus y livrèrent un match magnifique. Ils durent pourtant s'incliner face à une formation poussée par son public, transcendée par l'enjeu et n'hésitant pas à utiliser la manière forte, à l'image de Nobby Stiles, « le cerbère édenté », lequel blessa gravement Jacky Simon.
Carrière brisée, à 28 ans
Budzynski sortit grandi de cette aventure, elle lui avait permis de s'affirmer comme un véritable leader et quand il revint à Nantes il était devenu un joueur dont les avis retenaient volontiers l'attention. Avec son copain Grabowski, ils fréquentaient volontiers le milieu estudiantin où on se plaît à refaire le monde, à l'imaginer meilleur en tout cas. Il pensait aussi que son club allait affirmer sa domination sur le football hexagonal. Hélas, une pluie de blessures s'abattit sur les Canaris, les privant de leurs meilleurs atouts. Simon ne retrouvait pas son meilleur niveau. Eon était mal retombé sur le terrain de Cannes. Philippe Gondet s'écroulait sous les coups qui s'abattaient sur ses genoux. Le 15 décembre 1968, c'était au tour de Budzynski d'affronter la malchance, sur la pelouse de Saupin, face à Monaco. Un tacle assassin de Simian, les deux semelles en avant, le cueillit à mi-jambes. Double fracture tibia-péroné.
Les toubibs firent la moue, se montrant pessimistes quant à la suite de sa carrière. Budzynski pourtant s'accrocha, croyant dur comme fer qu'il parviendrait à rejouer. Dix mois plus tard, il effectuait d'ailleurs son retour dans l'équipe de Division d'Honneur. José Arribas assistait à la rencontre, il déclara:« Robert revient bien. Il a besoin de retrouver le rythme de la compétition. Encore quelques semaines et il sera de nouveau parmi nous. » Quelques jours après, le 1er novembre 1969, à l'entraînement, Philippe Levavasseur effectua une reprise de volée. Budzynski essaya de contrer , le ballon frappa sa jambe droite. Celle-ci céda de nouveau, comme une allumette. Triste Toussaint.
Cette fois, la blessure était irrémédiable : on ne le revit plus sur les terrains. Il avait 29 ans.
B.V. le 27 juillet 2005
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