Mais le recrutement, c'est déjà beaucoup, on l'a bien vu en assistant aux prestations des Viveros, Caceres, Capoue et quelques autres, « dignes » successeurs des Bustos, Giallanza, André, Bjekovic, Makukula. On compte sur N'Doram pour nous épargner désormais de semblables erreurs. En principe ce ne devrait pas être trop difficile car l'homme est un connaisseur doublé d'un amoureux du football offensif tel qu'il savait le jouer. Avec lui, c'est un peu de l'âme nantaise qui est de retour.
« T'es un vrai sorcier. »
On l'appelait « Le Sorcier », surnom qui ne lui plaisait d'ailleurs qu'à demi et qu'il devait à Joël Henry, son ancien partenaire du début des années 1990. N'Doram n'était pas encore très connu mais il accomplissait déjà de véritables tours de magie, à l'entraînement, sur les pelouses de la Jonelière. Alors, un jour qu'il venait de mystifier deux ou trois joueurs d'un coup, Joël Henry, qui s'y connaissait, lui aussi, en prouesses techniques, s'exclama : « Parole, toi, le ballon dans les pieds, t'es un vrai sorcier. » Le surnom rencontra d'autant plus de succès que Jean-Claude Suaudeau eu vite fait de le reprendre à son compte.
Japhet N'Doram était alors un jeune homme plutôt timide, un peu déboussolé aussi, car il avait dû quitter sa famille pour s'installer à la Jonelière où les autres pensionnaires étaient nettement plus jeunes que lui. Ils étaient adolescents, gamins parfois. Lui avait déjà 24 ans et une vie bien remplie derrière lui quand il avait posé ses maigres valises sur les bords de l'Erdre. Il avait connu la pauvreté dans son quartier de N'Djamena, sans en souffrir car elle fait partie du quotidien de la grande majorité des Tchadiens. Il avait vu aussi la guerre civile, elle l'avait contraint à quitter la capitale où les combats se multipliaient à tous les coins de rue. Il avait enfin traversé des épisodes rocambolesques comme celui de son départ du Tonnerre de Yaoundé, le club du Cameroun où il était allé chercher une existence un peu plus rose. Tous ces événements l'avaient mûri, endurci, sans lui faire perdre la moindre parcelle de son enthousiasme. Ils lui avaient aussi permis de relativiser les événements de la vie : « Quand par la suite, j'ai rencontré des difficultés en France, sportives notamment, lorsque j'ai été blessé par exemple, j'ai toujours pensé qu'il existe plus grave ».
Suaudeau crut en lui
C'est à l'occasion d'un stage effectué par l'équipe nationale du Tchad, à Saint-Brévin, qu'il fut repéré par un technicien du district de la Loire-Atlantique, lequel alla le présenter au FC Nantes. On lui fit réaliser un essai, il s'avéra à peu près concluant. A peu près, car il serait faux de prétendre qu'il fit sauter aux plafonds de la Jonelière le sinistre Miroslav Blazevic qui servait alors d'entraîneur aux Canaris. On le retint toutefois. Alors, l'un de ses amis, l'ancien directeur technique du Tchad, Daouda, que l'exil avait conduit en France dans les services de la Jeunesse et aux Sports, se démena pour lui obtenir les papiers nécessaires et N'Doram put prendre pension à la Jonelière.
Il peina à se faire des amis. Blazevic, on l'a vu, n'était pas pleinement convaincu de ses capacités et Max Bouyer, le président, lui avait octroyé un contrat qui n'avait rien de royal. Japh s'accrocha pourtant et il trouva en Jean-Claude Suaudeau un précieux allié. Coco pensait qu'il possédait le potentiel pour devenir titulaire, il le lui répétait à chacune de leurs rencontres et il lui disait que l'âge ne constituait surtout pas un obstacle.
Dépositaire du jeu
Le retour aux affaires de Suaudeau, en 1991, ne pouvait que servir les desseins du talentueux Tchadien, même si une blessure à Saint-Etienne, où il fut agressé par Joseph-Antoine Bell, freina son éclosion. Celle-ci se produisit à partir de 1992. Japhet devint alors le véritable dépositaire du jeu nantais, celui qui l'éclairait, à coups de passes lumineuses, d'accélérations foudroyantes et de tours de passe passe multiples. Son influence sur ses jeunes coéquipiers alla en s'amplifiant, sur le terrain mais aussi en dehors. C'est autour de lui que Coco Suaudeau reconstruisit son équipe, celle qui pendant trois superbes saisons enchanta la Beaujoire. Japh évoluait derrière Loko et Ouédec, entre Makélélé et Pedros, il allumait les offensives comme une mèche les brindilles. Au besoin il marquait des buts car il savait se servir de sa tête : pour lire le jeu d'abord, pour reprendre des ballons ensuite et avec lui, quand Nantes obtenait un corner, les défenseurs adverses avaient intérêt à ne pas
bâiller aux corneilles. La consécration pour cette génération de rêve survint en 1995, au terme d'une saison merveilleuse. Au cours des deux précédentes, Nantes avait déjà tenu les premiers rôles mais il avait faibli durant l'hiver. A chaque fois, il ne s'agissait évidemment pas d'une simple coïncidence, ce fléchissement s'était produit alors que N'Doram était blessé.
Buteur aussi
Nantes ne sut malheureusement pas conserver tout son effectif et la saison suivante, marquée par les départs tumultueux de Loko et de Karembeu, fut plus délicate d'autant que N'Doram fut blessé pendant plusieurs très longues semaines. Davantage que sorcier, il était devenu le véritable sage de l'équipe, il en devint le sauveur en 1996-97 où, pour rendre service, il accepta de jouer plus souvent en pointe. Ce fut pour lui l'occasion de démontrer qu'il était vraiment un footballeur exceptionnel, au registre très complet : il marqua 21 buts en 1996-97 où après un départ laborieux Nantes effectua un retour sur les chapeaux de roue qui l'amena à la troisième place.
Idéal interprète du jeu à la nantaise
Japhet avait alors 31 ans, 14 de plus que son plus jeune coéquipier, Mickaël Landreau, et il estima que le moment était venu de tenter une autre aventure. Monaco lui proposait un pont d'or, il l'accepta. Son départ fut plus qu'un crève-cœur : un véritable arrachement pour la majorité des supporters, conscients de voir partir un artiste et un homme tout à fait remarquables. N'Doram n'avait pas été formé à Nantes et pourtant il avait idéalement compris et interprété le football à la nantaise.
Il ne joua même pas une demi saison à Monaco : il ne disputa que 13 matches et sa carrière fut stoppée par une blessure qui ne guérit jamais, bien qu'il ait multiplié les soins et les traitements pendant presque une année. Monaco l'avait payé cher, on l'a dit, et ce gentleman demanda à ce que son salaire soit diminué puisqu'il ne pouvait plus jouer. Il entra dans le staff technique de l'ASM. On le chargea d'abord d'espionner les équipes adverses puis il intégra la cellule recrutement où il lui appartenait de superviser les jeunes joueurs visés par la Principauté. Il se plaisait sur la Côte, il aurait toutefois souhaité être davantage intégré dans les grandes orientations d'un club, plus proche de l'entraîneur notamment.
A Nantes, il espère pouvoir donner la pleine mesure de ses connaissances, il est clair en tout cas qu'il va être bien accueilli.
B.V., le 28 juin 2005
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