Le loup dans la bergerie
Le 5 juin 1987, L’Olympique Lyonnais joue en Division
II depuis quatre saisons. Il dispute le match retour d’un
barrage d’accession qui l’oppose à Cannes.
Gerland est aux trois-quarts plein, 25.000 spectateurs,
affluence fort respectable pour l’époque. Avant
le coup d’envoi, le président du club, un certain
Charles Mighirian, qui occupe la place depuis quatre ans
et demi, effectue un tour d’honneur. En fait, il s’agit
de ses adieux.
Quelques mois plus tôt, il a contacté un jeune
homme d’affaires, Jean-Michel Aulas qui est en train
de réussir dans l’informatique. « Entrez
donc au comité directeur, lui a dit Mighirian, nous
avons besoin de gens dynamiques ». Aulas ne s’est
pas contenté de verser son droit d’entrée,
il s’est pris au jeu et en peu de réunions
il a convaincu les autres dirigeants qu’il possède
l’étoffe pour redresser l’OL. Tel le
loup entré dans la bergerie, il a dévoré
les éventuels opposants, à commencer par Charles
Mighirian qu’il laisse donc, sourire sardonique aux
lèvres, s’offrir un dernier bain de foule en
guise de consolation.
Il croit que le titre de président confère
de la compétence
Il y a longtemps que Mighirian a été oublié
par la planète football mais cette anecdote illustre
déjà ce qui va se passer à l’OL
au cours des années suivantes : Aulas ne fait pas
de cadeaux et il n’est pas homme à partager
le pouvoir. Il veut tout régenter, y compris le domaine
technique. Son entraîneur, Robert Nouzaret, ne tarde
pas à s’en apercevoir à ses dépens.
La saison suivante, alors que Lyon est toujours en D2 car
il a perdu son barrage, Nouzaret se fait débarquer
dès le mois d’octobre, à la suite d’une
défaite à Orléans. Les entraîneurs
devront toujours, bon gré mal gré, composer
avec Aulas qui croit que le titre de président confère
de la compétence. Il se plaît d’ailleurs
à alimenter les micros et les stylos de considérations
hautement techniques. Du moins les soirs de victoire où
il prend soin de se présenter le premier, avant son
coach et les joueurs, devant les journalistes. Les jours
de défaite , il se fait plus discret, sauf s’il
entend en mettre plein la tête à un arbitre
qui n’a pas dirigé le match selon ses vœux,
c’est à dire qui n’a pas avantagé
Lyon.
Pression sur les arbitres
Par rapport à Aulas, José Mourinho, que la
presse française condamne allègrement actuellement,
n’est qu’un apprenti quand il s’agit de
mettre la pression sur les arbitres. Les journaux et encore
plus les serviles télés, qui ne veulent pas
se mettre à dos un homme qui pèse dans les
attributions des droits, prennent soin, pourtant, de ne
pas critiquer le président de l’OL. Parce qu’ils
ont appris à le craindre. Parce qu’Aulas, dont
le père était journaliste, sait comment fonctionne
un journal et où il faut taper. A la tête bien
sûr. Aulas ne fait pas de cadeaux, on l’a dit,
mais il n’a pas non plus de scrupules et il ne fait
pas bon chercher dans les coulisses de l’OL. Un mensuel
régional est ainsi en procès parce qu’il
a évoqué les comptes du club. Le despote de
l’OL n’aime pas les investigations.
La puissance de l’argent
En revanche, il adore l’argent et surtout la puissance
qu’il confère. Il a bâti son club à
coups de millions. Les entraîneurs ont donc valsé.
On en était resté à Nouzaret, il y
eut ensuite Denis Papas, Marcel Leborgne, Raymond Domenech,
Jean Tigana, Guy Stéphan, Bernard Lacombe, Jacques
Santini, Paul Le Guen. On peut rêver mieux comme stabilité
technique et comme les choix n’étaient pas
toujours judicieux, les succès mirent longtemps,
très longtemps, à arriver. C’est en
1989, sous l’ère Domenech que la montée
en D1 fut obtenue. Le sélectionneur de l’équipe
de France était déjà un beau parleur
mais un entraîneur moyen et au bout de quelques années
peu convaincantes il fut invité à faire ses
valises. Il faut dire qu’Aulas, qui n’est pas
bête, avait tout de même su s’adjoindre
les services d’un conseiller de valeur, en la personne
de Bernard Lacombe. Ancien avant-centre international il
connaît le foot mieux que son président et
ses conseils furent souvent judicieux. Le problème
est qu’il rêvait aussi d’entraîner
et il en résulta quelques anicroches avec les techniciens
en place. Jean Tigana notamment.
Matamore qui se ridiculise
A force d’intriguer, Bernard Lacombe finit par atteindre
son objectif : il hérita du poste, fin 1996, après
une déroute à Auxerre, 7-0, qui s’avéra
fatale à Guy Stéphan. Le passage de témoin
s’effectua de manière si trouble que la première
séance d’entraînement de Lacombe se déroula
sous les sifflets des supporters. L’OL n’était
décidément pas encore entré dans l’Histoire,
comme l’ambitionnait son président qui n’en
finissait pas de jouer les matamores. Chaque début
de saison, il clamait sans prudence que son club allait
être sacré, ou qu’il allait gagner la
coupe de l’UEFA. Comme quoi le ridicule ne tue pas,
sinon Aulas serait mort depuis longtemps. L’OL, en
revanche, continuait à alimenter la chronique des
petites histoires que l’on se raconte avec délices,
le soir à la veillée. Ainsi, en décembre
1996, à l’issue d’un Lyon – Nantes
perdu par les Gones, un joueur, Jean-Luc Sassus, fut mis
KO dans le couloir menant aux vestiaires. Le comble est
que c’est son coéquipier Pascal Olmeta qui
lui avait expédié un direct en pleine poire.
Pour une histoire de bonnes femmes, paraît-il.
En 2002, enfin
Lyon pourtant a fini par obtenir ce qu’il cherchait.
Il venait de terminer 2è du championnat 2001 lorsque
le président, vraiment peu avisé, du club
qui venait d’être couronné lui vendit
son meilleur joueur. Son nouvel actionnaire avait sans doute
poussé à la roue. Toujours est-il qu’Eric
Carrière partit à Lyon. Il s’ajouta
aux autres stars qu’Aulas achetait à grands
renforts de millions depuis plusieurs années, tels
Govou, Marlet, Anderson, Dhorasoo, Edmilson, Caçapa
et, en 2002, Lyon fut enfin sacré champion de France.
Le talent de ses individualités avait davantage fait
la différence que la qualité assez quelconque
de son jeu, souvent essentiellement défensif et axé
sur le contre. L’OL avait aussi bénéficié
de la défaillance de Lens qui avait compté
9 points d’avance en janvier mais s’était
ensuite écroulé. Les Nordistes avaient notamment
perdu le dernier match décisif à Gerland,
lors de l’ultime journée. En la circonstance,
l’OL n’avait d’ailleurs pas eu à
se plaindre de l’arbitrage, comme quoi, hélas,
les méthodes Aulas, parfois, paient. On peut penser
aussi que si cette saison-là on avait inversé
les deux gardiens, c’est à dire mis l’efficace
Coupet dans la cage artésienne et le déjà
vieux Warmuz dans celle des Gones, le verdict final n’aurait
pas été le même.
Un édifice fragile
Cette même année, Lyon se sépara du
pâle et tortueux Santini et en confiant ses destinées
à Paul Le Guen il a pris une nouvelle dimension.
Il est devenu en effet une équipe beaucoup plus joueuse
et donc redoutable, voire séduisante, et comme Aulas
a acheté quelques autres poulains de luxe, comme
Wiltord, Lyon possède maintenant une large avance
sur ses concurrents français. Il est en route pour
son quatrième titre consécutif.
Jean-Michel Aulas est donc ravi. De là à dire
que ses méthodes méritent des louanges il
existe un gouffre que nous ne franchirons pas. Aulas incarne
le triomphe du foot-business où l’affairisme
prend le pas sur le jeu, où tous les coups sont permis,
même quand ils s’inscrivent à l’encontre
de l’éthique sportive. Au fond, Aulas a repris
à son compte les méthodes de Claude Bez à
Bordeaux dans les années 1980. En plus soft, c’est
à dire en faisant moins voyou. La forme diffère
légèrement, et encore pas toujours, le fond
est le même. Mauvais ! Aulas croit que l’argent
autorise tout. Il lui permet en tout cas de déplumer
ses adversaires tout en se renforçant. Quand il achète
Carrière, il réalise le même coup double
que Bez lorsqu’il s’offrait Touré. Reste
que l’équilibre financier de son club reste
fragile. Une ou deux saisons sans Ligue des Champions et
tout s’écroulerait, tellement le budget est
colossal. C’est ce qui s’était passé
à Bordeaux. Verra-t-on un jour le système
Aulas s’effondrer avec autant de fracas que l’édifice
Bez ? Il ne faudrait pas compter sur nous pour verser la
plus petite larme.
B.V.
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