Il reste que, quelle que soit l'issue de cette affaire, il est navrant qu'elle ait suscité tant de rumeurs, de doutes, de craintes.
Bien sûr, il faut jeter la pierre à Gripond qui avait fait de Toulalan la figure de proue de la campagne d'abonnements et n'a pas réagi en conséquence. A Aulas qui a oublié d'avoir des principes et des scrupules. Mais ne faut-il pas aussi, un peu, beaucoup, mettre en exergue l'immense responsabilité de l'homme de l'ombre ? Celui à qui profitera ou aurait profité le plus ce transfert. A l'imprésario de Toulalan.
Il s'appelle donc Mickaël Manuello. Il aurait pu s'appeler M'sieu Ramirez. Comme le manager de boxe du célèbre sketch de Guy Bedos. Vous savez ce type qui expédie ses protégés au combat, sans se soucier des coups qu'ils encaissent. Du moment que ça fait engraisser leur portefeuille. « C'est pour ton bien, » lui dit-il.
Mais les M'sieu Ramirez d'aujourd'hui n'opèrent plus sur les bords du ring. C'est trop risqué, avec tout ce sang qui parfois inonde le visage de leurs protégés. Le sang, quand ça se mélange à la sueur, ça gicle un peu partout, jusque sur les costumes trois pièces. C'est pas classe.
Les M'sieu Ramirez du foot
Alors les M'sieu Manuello, ils évoluent dans le foot. Ils roulent en grosses limousines, ça impressionne les p'tits jeunes qu'ils courtisent dès qu'ils entrent dans un centre de formation. Ils sont bardés de portables, presque une ligne pour chacun de leurs poulains. Ils aiment la discrétion, faut se méfier de ces sataniques contrôleurs d'impôts. Ils résident volontiers sur la Côte, pas très loin de Monaco, ça peut toujours servir.
C'est bien le foot. Les périodes où on peut effectuer des transferts s'allongent sans cesse. Il y a les jokers, les chômeurs qui ne comptent pas comme jokers, les blessés graves qui permettent un joker supplémentaire. Il y a même eu un ancien président de la Ligue qui a inventé le mercato d'hiver. « Pour permettre aux clubs de faire une ou deux corrections dans leur effectif » avait-il indiqué. Tu parles Noël ! C'est tout simplement parce que Guingamp avait souvent des joueurs à vendre et que ça l'arrangeait de multiplier les possibilités de transaction. Les imprésarios auraient dû lui remettre une médaille.
Les cours montent sans cesse
La décoration aurait manqué d'autant moins de sel qu'il ose se présenter comme l'un des champions de l'éthique. Elle aurait aussi eu le mérite de bien faire rire Bourgoin, lequel n'est pas précisément son meilleur copain.
L'un des autres avantages du marché du foot est que les cours de la viande de joueur montent sans cesse en flèche. C'est autrement plus sûr que le bœuf ou le mouton et il n'y a pas à craindre l'arrivée de produits anglais. Mieux que ça : outre-Manche, ils se montrent même plutôt demandeurs et comme ils n'ont pas l'habitude de lésiner ce ne sont pas eux qui vont faire baisser le prix du kilo. Au contraire.
Il a pris son pourcentage
M'sieu Manuello, revenons à lui, possède les droits de Jérémy Toulalan. Une valeur montante. Attachée à ses couleurs. D'ailleurs récemment, il lui a fait signer une prolongation de contrat. Avec à la clef une substantielle augmentation. Au passage, m'sieu Manuello a pris son pourcentage. Normal. Jérémy a lancé : « J'aurais pu signer pour plus longtemps encore car Nantes est le club que j'aime ». Là, M'sieu Manuello, a souri. Car lui, il n'aime pas les joueurs trop fidèles, ça ne rapporte pas suffisamment. Ce n'est pas avec de la fidélité qu'on achète des villas et qu'on change de Mercédès toutes les semaines.
Les abus des dirigeants ont créé les agents
Il faut tout de même rappeler deux ou trois petites choses. Les agents n'ont pas toujours existé dans le football. Avant, disons jusqu'en 1980, les joueurs se débrouillaient seuls. Et les dirigeants en profitaient bien. Les présidents convoquaient les jeunes joueurs dans leur bureau de président, acajou de rigueur et moquette trois fois plus épaisse que la pelouse de la Beaujoire. Ils les tutoyaient, versaient dans le paternalisme et leur donnaient du « mon petit » à chaque détour de phrase. Ils leur soufflaient négligemment la fumée de leur Havane en pleine figure, débouchaient parfois le champagne qu'ils faisaient servir par la plus accorte de leurs secrétaires. Enfin, alors que l'entretien approchait de son terme, ils lui présentaient un contrat qu'ils assuraient royal et ils lui demandaient un simple petit autographe, en bas à droite, en trois exemplaires. Le président était toujours le patron d'une grosse boîte, sauf à Nantes du temps du bon Louis Fonteneau, fréquemment un notable de la ville. Le footballeur, guère plus de 20 ans, forcément impressionné parce que venant souvent d'un milieu pas forcément favorisé, assez ignorant en droit car il avait été moins brillant en salle de classe que ballon aux pieds, signait. Et deux fois sur trois, il se faisait abuser. Escroquer parfois. Il arrivait pourtant qu'un joueur estime valoir plus. Un président, parmi les plus renommés de France, son club disputa une finale de Coupe d'Europe, avait trouvé la parade : « Ecoute si tu refuses, j'affiche ton salaire à la porte du stade et on verra si les supporters dont la majorité gagnent moins que toi te donnent raison. Y'en a déjà qui vous insultent en vous traitant de trop payés. N'oublie pas… »
Attention aux vautours
Si les agents existent, c'est par la faute ou grâce aux présidents trop cupides, trop imbus de leur pouvoir, trop prompts à exploiter le talent de joueurs souvent naïfs. Pour le profit de leur club, sinon le leur. Et les imprésarios, on ose le dire, sont presque nécessaires. Du moins, et il s'agit de vraies raretés, quand ils sont compétents, honnêtes et réellement attachés à la réussite de leurs joueurs, ce qui suppose d'ailleurs qu'ils n'en détiennent pas toute une collection. Et qu'ils ne les guettent pas, tels des vautours, au moindre rassemblement de jeunes. Car le problème est que les dirigeants abusifs ont crée des imprésarios à leur image. Des Monsieur Ramirez. Et que ce sont eux qui contribuent à les enrichir en multipliant des transferts et des salaires où ils perdent tout sens de la mesure.
Telles les mouches…
Aujourd'hui, les imprésarios prolifèrent si vite et si bien qu'on en est à compter sur les doigts d'une main les footballeurs qui ne possèdent pas encore le leur. Certains en ont même plusieurs à leur disposition. Ils claquent des doigts : hop, les voilà qui accourent telles les mouches attirées par les confitures.
« La voiture que me fournit le club a une vitesse qui passe mal se plaint le joueur. « Je téléphone au directeur financier du club,», tempête l'agent.
« J'ai reçu un avis du propriétaire de mon 15 pièces comme quoi la baignoire a débordé et que le voisin du dessous demande un dédommagement, » « Tu as autre chose à penser qu'à des tracas domestiques, m'enfin ! J'avertis le directeur administratif. »
« L'entraîneur ne m'aligne plus de puis deux matches, il ne fait plus confiance. » « Alors là je demande une audience au président pour qu'il vire cet incapable, s'il refuse je lui dis de te placer sur la liste des transferts et en prime je préviens les agents des autres remplaçants pour qu'on monte une cabale contre ce technicien qui ne te comprend pas ».
Toulalan n'avait pas de soucis
Jérémy Toulalan, lui, n'a pas de soucis. Surtout pas d'ailleurs avec son entraîneur qui lui fait entièrement confiance et ne demande qu'à le garder. Ni avec ses copains qui louent tous son bel esprit d'équipe. Jérémy Toulalan est trop heureux. Il n'a vraiment aucun problème. Alors, Mickaël Manuello qui, à l'entendre, ne pense pourtant qu'à son bien, on veut dire celui de Toulalan, ben voyons, va, on ne prétendra pas lui en créer, mais en tout cas ne rien faire pour les lui éviter.
Car si on met en évidence les conduites, d'un côté d'Aulas qui n'en finit pas de relancer Toulalan, de l'autre de Gripond qui ne sait pas dire non une bonne fois pour toutes (mais peut-être Roussillon lui a-t-il ordonné de ne pas couper les ponts dorés et argentés qui mènent à Lyon), il faut bien aussi reconnaître que M'sieu Manuello n'a pas une attitude irréprochable. Quand Aulas l'a contacté (ou quand il a appris que des contacts existaient) il n'a pas dit : « Ecoutez Jérémy a prolongé son contrat il y a moins de six mois, j'étais d'accord avec lui, on ne nous a pas mis de revolver sur la tempe et ça m'embêterait maintenant qu'il ait l'air d'un con, d'autant que c'est un jeune homme très bien »
Et mon pourcentage alors ?
Non, non, il n'a pas dit ça M'sieu Manuello. Il a, comme il dit, pensé à l'intérêt de Jérémy. Et peut-être même aux siens d'intérêts. Car enfin, admettons que le transfert s'effectue pour 9 millions d'euros et que la commission de l'imprésario approche un petit 10 %, ça ferait quand même une somme, non ? Rondelette même !
Et comme, voyez-vous ça, quelle surprise, Toulalan a été augmenté par Nantes en janvier, il ne peut quand même pas aller à Lyon pour un salaire inférieur. Chez le champion de France, cela ferait désordre. Il faut donc l'augmenter de nouveau. Diling-diling, par ici la monnaie, c'est monsieur l'agent de joueurs qui passe.
Tenez à propos : puisque Mickaël Manuello semble faire si peu de cas du FC Nantes, il ne pourrait pas justement éviter de passer par la Jonelière et aller faire son repérage de talents puis ses opérations de troc ailleurs. Le centre de formation de Lyon, ça ne lui plaît pas ?
C'est pour son bien, son intérêt
Pour le bien de son joueur, comme il le répète, il insiste, M'sieu Manuello est prêt à le faire passer pour quelqu'un qui n'a pas de parole et à prendre le risque de le transformer en astiqueur privilégié du banc de Gerland. Il faut dire que le péril financier, celui qui lui importe le plus, est minime. Car en admettant que Toulalan ne réussisse pas à l'OL (ce qui n'est pas prouvé) sa valeur marchande n'aura guère baissé dans un an. On peut même compter sur Aulas pour vendre aussi cher un remplaçant à Lyon qu'un titulaire vedette à Nantes. Et imaginez que cette idée lui vienne à l'esprit dans une ou deux saisons, voire avant, qui est-ce qui engrangerait de nouveau, sans vraiment se fatiguer, un gros chèque lors de la transaction ? Qui c'est, dites-nous ?
Aller en stage puis jouer ailleurs
Arrêtez, va nous dire monsieur l'imprésario, sinon vous allez faire croire que mon intérêt c'est que mon poulain échoue… Ben. Quoique, si la réussite est au rendez-vous on vous fait confiance : nouvelle augmentation de salaire, de préférence peu après le départ pour un club de l'étranger. Bref, c'est du « A tous les coups l'on gagne. »
Mickaël Manuello pense tellement « au bien de Jérémy » qu'il est prêt à le laisser partir en stage de pré-saison avec un club pour le vendre ensuite à un autre. Et même, pourquoi pas, à le laisser entamer le championnat à la Beaujoire avant de le transférer. Il l'a dit : « On a jusqu'au 31 août. » Et surtout, surtout, il ne faut pas que Jérémy parle de tout ça. C'est vrai : il risquerait de ne pas s'y reconnaître, heureusement Monsieur Manuello est là qui veille sur lui.
B.V. le 25 juin 2005
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