Monsieur le Maire,
Vous étiez à la Beaujoire samedi soir, le FC Nantes y jouait sa peau, et franchement, sans vouloir vous vexer, il nous semble que votre présence entrait dans les attributions minimales incombant à votre charge.
On doute quelque peu, on vous l'avoue, mais c'est sans doute votre faute, de votre amour pour le football. Si on vous concède aisément le droit, à titre personnel, de ne guère apprécier ce jeu bizarre qui se pratique avec un ballon, permettez-nous cependant de nous étonner de ne pas vous apercevoir plus souvent à la place qui vous est réservée dans la tribune officielle. Même si, aujourd'hui, elle se résume apparemment à un siège purement honorifique. Le spectacle, cette saison, a certes rarement été mirobolant, il a néanmoins attiré une moyenne de spectateurs supérieure à 31.000 par rencontre et on se demande si être en phase avec vos électeurs, et donc partager un tant soit peu leurs goûts, et même leurs couleurs, ne s‘inclut pas parmi vos multiples missions.
Quand le FC Nantes sert vos intérêts
Or, nous avons l'impression que seuls les grands rendez-vous vous attirent et que vous répondez présent seulement quand le résultat du FC Nantes peut servir vos intérêts. Ou quand il risque, au contraire, c'était le cas face à Metz, de les desservir.
Au début des années 1990, le club était déjà au plus mal, il fut même, durant l'été 1992, menacé par la DNCG de rétrogradation en division II pour déséquilibre financier. Vous vous étiez alors ému de cette situation. Mieux : vous étiez même, pour une fois, monté au créneau afin de permettre à quelques décideurs, dont Guy Scherrer, de jouer les sauveurs. Le club vous l'avait en quelque sorte rendu trois ans plus tard, en conquérant un titre de champion de France qui avait redonné le sourire aux Nantais, juste avant les élections municipales.
Cela tombait plutôt bien pour vous, d'autant que les joueurs avaient eu la bonne idée, pour vous, de ridiculiser votre principale concurrente, alors ministre de la santé. Elle s'était aventurée dans le vestiaire où, c'est vrai, elle n'avait rien à faire. Ils l'avaient plongée dans la piscine. Toute habillée. Le lendemain, dans les jardins de l'Hôtel de Ville où vous receviez les champions, vous étiez tout guilleret, quasiment déjà réélu.
Comment aurions nous pu croire ?
Le club vous servait bien à cette époque. Vous disiez cependant qu'une municipalité n'a pas pour vocation d'entretenir des sportifs professionnels, et c'est une opinion que nous partageons assez, il suffit d'ouvrir les yeux pour se rendre compte qu'il existe plus malheureux qu'eux. Que vous coupiez peu à peu la pompe à finances ne nous chagrinait donc pas, il fallait bien que le foot apprenne à vivre de ses propres ressources, surtout qu'elles étaient en constante augmentation. Le FC Nantes d'ailleurs s'en tirait plutôt bien, puisqu'il était parvenu, en un temps record, à effacer son ardoise de 1992. Scherrer était même probablement allé trop vite, sinon il aurait pu conserver davantage de joueurs d'une génération qui était véritablement en or.
Mais comment aurions pu nous douter que le FC Nantes, en réalité, vous encombrait et que, mal conseillé plutôt que mal intentionné, on veut le croire, vous ne songiez qu'à vous en débarrasser ?
Comme si on mettait à la tête de Nantes un pseudo-spécialiste de Formule 1
Trautmann, votre amie, alors maire de Strasbourg, partageait votre point de vue : elle aussi a bradé son club. A Mc Cormack. «Aux Américains » disaient les Alsaciens. Elle a ainsi contribué à plonger le Racing en D2, en 2001, autre année électorale, manque de chance pour elle. Ses mauvais calculs lui ont coûté son fauteuil de maire, on ne la plaint pas. D'ailleurs, depuis qu'elle est partie et que Mc Cormack a retiré ses billes, Strasbourg se porte plutôt mieux. Il est revenu aux Alsaciens, ils se montrent plus adroits que Patrick Proisy et Claude Leroy. Le Racing est d'ailleurs remonté en L1, il vient même de remporter la Coupe de la Ligue. Vous direz que pour confier un club de foot à un spécialiste de tennis et à un commentateur plus ou moins avisé de télé, il ne fallait pas être très malin. C'est un peu comme si on mettait à la tête du FC Nantes un pseudo-spécialiste de Formule 1 et un paumé de TF1.
On ne pousse pas Suaudeau vers la sortie
Revenons à Nantes justement. Si on se rappelle bien, quand Jean-Claude Suaudeau a pris du recul, en 1997, pour laisser la place à Raynald Denoueix, l'association FCN, qui était alors sous votre coupe, a vigoureusement critiqué le président du FCNA de l'époque, Jean-René Toumelin. Sous prétexte que Suaudeau fut payé pendant quasiment un an sans rien faire. Mais Monsieur le Maire, lorsqu'on a la chance d'avoir un Suaudeau, on ne le pousse pas vers la sortie, on fait tout pour le garder. D'ailleurs, à ne rien faire, il était beaucoup plus utile et sans doute moins bien payé qu'un président actuel qui fait tout à l'envers. Vous objecterez que Suaudeau, politiquement, s'est ensuite porté vers un bord qui n'est pas le vôtre. C'est vrai. Mais n'est-ce pas justement parce que vous l'y avez conduit ? S'il avait retrouvé en vous les valeurs, collectives et sociales, qu'il a tant contribué à mettre en avant dans son équipe, n'aurait-il pas au contraire été de vos fidèles ? Suaudeau, Monsieur le Maire, c'est un contrat à vie qu'il fallait lui signer.
Vendre à n'importe qui
La suite ne fut que maladresses. Vous vouliez vendre le club, à n'importe quel prix, et, excusez-nous de n'avoir pas compris pourquoi, à n'importe qui. Comme un morceau de jambon, on croit même d'ailleurs qu'un charcutier, en gros, avait failli vous séduire. Au besoin, vous précipitiez le mouvement et c'est ainsi qu'en décembre 1998 vous rendîtes publics des chiffres de juin précédent. A l'époque, ils vous préoccupaient encore, puisqu'ils vous arrangeaient. « Il y a un déficit, » assuriez-vous. C'était vrai, sauf qu'au moment où vous avez communiqué ce bilan, le déficit n'existait plus, il avait été gommé dès juillet. On ne peut pas dire que sur ce coup là vous ayez été d'une grande élégance, mais vous vouliez vendre, absolument vendre, vous êtes l'un des rares à savoir pourquoi, alors les moyens vous importaient peu. Vous avez donc placé à la tête du club un homme à vous, en lui demandant d'accélérer le processus de désengagement.
Pourquoi, oui pourquoi ?
Forcément, vous êtes parvenu à vos fins. Grâce à la Socpresse. Et c'est là où nous avons besoin d'explications. Pourquoi, vous, monsieur le maire qui vous proclamez de la gauche, avez-vous bradé le FC Nantes à une entreprise proche de la droite ? Construite par monsieur Robert Hersant que le parti dont vous vous réclamez a longtemps combattu. Une entreprise réputée pour ses acrobaties de gestion, ses déficits chroniques, ses habitudes de désosser les entreprises qu'elle achète, pour renflouer ses caisses.
Oui, pourquoi ? Pour mettre dans votre poche son journal local, Presse Océan ? Mais qu'aviez vous à redouter de sa part ?
Quel est votre pouvoir réel ?
Il est arrivé ce qu'il était facile de prévoir. Ce que, tout de même, vous pouviez difficilement ignorer. La Socpresse n'a rien fait pour le FC Nantes, sinon du mal. Sinon, aussi, le céder à Serge Dassault. Cela ne vous gêne pas ? On ne vous entend guère depuis un an, et le passage du club de votre ville d'un empire à un autre, encore pire. Ah si : la semaine dernière. Mais pour dire quoi ? Qu'il faudrait du changement, parmi les hommes qui dirigent… Merci de nous avoir asséné pareille évidence.
La question que l'on se pose est différente et il se peut qu'elle vous dépasse désormais. Elle est celle-ci : quel est votre pouvoir réel ?
Ne nous dites pas qu'il est devenu nul. Que Dassault se fiche de votre avis comme de son centième char. Saviez-vous ainsi que Philippe de Villiers a failli devenir le président du club le plus représentatif de votre ville ? Avouez que cela eut été comique. Politiquement, on veut dire, car pour le reste… Est-il trop tard pour rattraper votre bévue, votre mauvaise vente ? Y songez-vous et y travaillez-vous ? Trautmann, on vous l'a rappelé, y a laissé sa crédibilité et sa place, la déconvenue qu'elle a dû endurer mérite peut-être réflexion. Alors ne nous dites pas que vous êtes devenu un vassal de Dassault. Démontrez-nous que, oui, vraiment, vous aimez le FC Nantes. Toujours et pas seulement quand il gagne, comme en 1995, en 2001 ou samedi dernier, et qu'il sert vos intérêts. La situation est aussi grave qu'en 1992.
(B.V.)
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