Légumes secs
L’Olympique de Marseille a toujours acheté
des joueurs. L’histoire nous enseigne même qu’il
défraya la chronique commerciale dès les années
1920 en engageant trois joueurs parisiens, si, si, déjà,
auxquels il avait promis un pont d’or. L’époque
était à l’amateurisme, il était
normalement interdit de payer les joueurs et du côté
de la fédération on fit les gros yeux. «
Mais si Jules Devaquez, Boyer et Edouard Crut viennent sur
les bords de la Méditerranée, c’est
tout simplement parce qu’on leur a trouvé un
emploi, arguèrent les dirigeants phocéens.
Loin de nous l’idée de leur proposer de l’argent.
Ici, on ne mange pas de pain-là ». «
Ah bon, et quel sera leur travail ? » La réponse
ne s’invente pas. « Ils seront courtiers en
légumes secs », précisa l’OM.
Les pontes de la Fédération ne surent jamais
si ces fameux légumes avaient un goût de lard
ou de cochon mais bon gré, mal gré ils finirent
par donner leur feu vert. On ajoutera que leur « rude
» boulot n’empêcha pas, au contraire Devaquez,
Boyer et Crut de faire des ravages sur les pelouses.
Chemins de traverse
Le principe des transferts arriva plus tard, avec le professionnalisme,
en 1932, et l’OM put acquérir tout un tas de
joueurs en toute normalité. Certains furent d’authentiques
vedettes, tels les buteurs Gunnar Andersson et Josip Skoblar
ou les dribbleurs de charme Roger Magnusson et Chris Waddle,
d’autres avaient les pieds totalement carrés.
Il fut aussi, hélas, une époque, beaucoup
plus récente, où Marseille donna au verbe
acheter une autre signification. Bernard Tapie avait empoigné
la barre olympienne et comme il n’était pas
homme à lésiner sur les moyens pour atteindre
ses objectifs, la machine s’emballa tellement qu’elle
finit par déraper et par s’égarer sur
des chemins de traverse.
L’affaire de Valenciennes
Les Nantais ont tenu bizarrement un rôle de premier
plan dans les différents scandales qui défrayèrent
la chronique au carrefour des années 1980-90. Jorge
Burruchaga, Christophe Robert et Jean-Jacques Eydelie, les
trois principaux « héros » de «
l’affaire de Valenciennes » en 1993, étaient
passés par la maison jaune. Les corrompus et l’intermédiaire,
puisque tel était le rôle peu valorisant d’Eydelie
furent lourdement et logiquement condamnés. Non sans
que la Ligue et la Fédération aient longtemps
et coupablement atermoyé, on peut même considérer
qu’un autre Nantais, Claude Simonet, donna un coup
d’accélérateur salutaire à une
affaire qui s’enlisait au moment où il accéda
à la présidence de la FFF. La justice, elle,
avait pourtant mis les pieds dans la bouillabaisse sans
hésiter et en démontrant clairement la culpabilité
des accusés. La Ligue, elle, nageait en plein pastis
et il fallut que Simonet, plutôt amateur de Romanée
Conti, surtout sur les tables des restaurants de luxe de
Séoul, hausse le ton pour que l’OM soit expédié
en 2è division.
Le gardien qu’on n’achète pas
Ce fut d’ailleurs un moindre mal puisqu’on rappellera
que lors d’une précédente affaire de
corruption, en 1960, le Red Star avait été
purement et simplement rayé de la carte du professionnalisme
pendant un an. Le club de Saint-Ouen était, il est
vrai, un récidiviste puisqu’il s’était
fait coincer une première fois en 1955. Il avait
alors été empêché de monter en
Division 1. Mais, voyez comme le monde du football est petit,
c’est un Nantais, le gardien Lehel Somlay, qui provoqua
la seconde affaire, fatale au Red Star. Plutôt que
d’accepter la liasse de billets qu’on lui proposait
pour laisser filer le ballon, il était allé
se confier à son président, Jean Clerfeuille,
lequel avait averti la Ligue. Le jour du match, au moment
où le corrupteur s’approcha de Somlay, il fut
intercepté par des membres de la commission de discipline.
Le transfert de Deschamps
Revenons à la période Tapie, tout simplement
parce que d’autres Nantais se trouvèrent mêlés
à diverses affaires qui, si elles firent moins de
bruit, n’en constituèrent pas moins de sévères
entorses à l’éthique sportive. Didier
Deschamps fut, un peu à son corps défendant,
mais sans se faire toutefois exagérément prier,
le personnage central de la première d’entre
elles. Tapie avait l’habitude, avant un match important,
de contacter un ou plusieurs joueurs de l’équipe
adverse. Il allait même jusqu’à les inviter
sur son yacht. « Je te verrais bien à l’OM
» lui susurrait-il. Parfois, Nanard était intéressé,
et il y avait une suite, parfois non et dans ce cas le joueur
ne recevait plus jamais de ses nouvelles. Deschamps l’intéressait
et c’est en toute légalité qu’il
le fit savoir au président du FC Nantes, Max Bouyer,
en novembre 1989. Quelques mois plus tôt, Deschamps
avait servi de tête d’affiche à une campagne
de pub promettant un Nantes européen pour 1992 mais
comme Tapie proposait de multiplier son salaire par cinq
en le passant à 250.000 francs, le futur capitaine
des Bleus ne se donna pas la peine de chercher à
savoir si les supporters n’allaient pas trouver sa
conduite quelque peu cavalière. Il alla voir Bouyer
: « Vous savez ce que me propose l’OM ? »
« Je sais mon « pauvre » Didier et j’avoue
que je ne peux pas te donner autant ». Bouyer avait
d’autant moins l’intention de s’aligner
sur les offres tapiesques que les caisses du club commençaient
à sonner le creux tant il avait commis de bévues
et il pensait que l’occasion était belle de
les renflouer. Rien ne s’opposait donc à la
transaction. Il convient cependant de noter, simple «
détail » qu’elle eut lieu juste avant
un match Nantes – Marseille. Deschamps ne le disputa
pas et la rencontre se termina voyez-vous ça, sur
un bon vieux 0-0 des familles qui arrangeait tout le monde.
Desailly à Marseille
Plus tard, durant la saison 1991-92, Marcel Desailly, meilleur
copain de Deschamps comme chacun sait, fut suspecté
de ne pas avoir réellement donné son maximum
au cours des matches face à l’OM. Son départ
pour la canebière, l’été suivant,
ne fit évidemment qu’amplifier la rumeur. Des
soupçons encore plus lourds pesèrent sur Zoran
Vulic auquel Jean-Pierre Papin avait échappé
avec une facilité plus que dérisoire durant
toute la première période. Il semblait si
peu dans son assiette que Suaudeau décida de le remplacer
à la pause. Ce qui provoqua une grosse bouderie de
l’irascible Croate. Avait-il peur de ne pas avoir
totalement rempli son « contrat » ?
La proposition de Blazevic
Une autre histoire mérite d’être contée.
Elle se déroule en avril 1990 juste avant un Nantes
– Bordeaux. L’entraîneur des Canaris est
alors le peu recommandable Miroslav Blazevic (il a eu de
très sérieux ennuis avec la justice) et c’est
tout guilleret qu’il se présenta à la
dernière séance d’entraînement.
« Les gars, j’ai une bonne nouvelle à
vous annoncer. J’ai eu mon ami Bernard au téléphone,
je le connais bien, et il m’a promis que si nous battons
Bordeaux il nous versera une grosse somme. Une défaite
des Girondins permettrait en effet à Marseille d’être
champion. » Paul Le Guen rompit alors le silence :
« Votre proposition ne m’intéresse pas
» lança-t-il. « Comment ça, tu
ne veux pas battre Bordeaux ? » s’offusqua Blazevic.
« Bien sûr que si, rétorqua Le Guen,
seulement je n’ai pas besoin d’une prime de
Marseille pour donner le meilleur de moi-même. »
Les autres joueurs s’alignèrent sur la position
de Le Guen. Et le lendemain, suprême élégance,
ils s’imposèrent face à Bordeaux. Personne
n’a jamais su si Blazevic avait empoché ou
non l’argent. On suppose pourtant qu’il ne s’est
pas vanté de sa mésaventure à son ami
Bernard. Des gars honnêtes ? Tapie ne l’aurait
certainement pas cru. Une autre fois, on vous racontera
peut-être quelques uns de ses autres achats, du côté
de Moscou (où il frappa un journaliste qui prétendait
mener une enquête « dérangeante »),
de Monaco ou de Bruges par exemple. Blazevic débarrassa
les pelouses nantaises à peine moins d’un an
plus tard, en janvier 1991, juste après une déroute
à… Marseille. 6-0 ! L’équipe avait
paru sans âme. Max Bouyer, qui avait de curieuses
idées, pensa un instant embaucher Raymond Goethals
pour lui succéder. Heureusement, les caisses du club
sonnaient le creux, alors il se tourna, ou plutôt
se retourna, vers Coco Suaudeau.
Un poste qui fait perdre la raison
L’affaire de Valenciennes, elle, faillit avoir un
prolongement il y a deux ans. Christophe Bouchet, ancien
adversaire acharné de Tapie, était parvenu
à son tour aux commandes de l’OM et il demanda
qu’on rende à son club le titre de 1993 malhonnêtement
acquis. Il reçut une fin de non recevoir, c’était
la moindre des choses. Imagine-t-on un gangster s’étant
fait prendre lors du hold-up d’une banque et ayant
été contraint de rendre l’argent le
réclamer dix ans après ? Retiré provisoirement
des affaires, Bouchet a admis il y a quelques semaines que
sa démarche était maladroite. « Mais
je cherchais tellement à plaire aux supporters »
a-t-il expliqué.
Quand on est président de l’OM on perd vite
la raison, c’est une évidence. Regardez l’ex-agent
de joueurs Pape Diouf. L’autre jour, il a osé
déclarer, suite à « l’affaire
de Casablanca » : « On a pris une sanction interne
et financière contre Barthez, cela suffit. Il ne
faut pas aller plus loin. » C’est un peu comme
si le président du club d’un quartier chaud
s’était adressé à son district
en disant : « D’accord, mon joueur a craché
sur l’arbitre, mais à la fin du match on lui
a fait payer une tournée générale à
la buvette du stade, la sanction est suffisante. »
On doute que le jugement ait mis plus de deux mois pour
tomber et qu’il ait été d’une
aussi extravagante clémence que celui prononcé
par la commission de discipline.
(B.V.)
NB : Cet article aurait du paraître sur
le site vendredi 22 avril avant la rencontre Nantes / OM,
mais un problème de mails a retardé sa mise
en ligne.
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