Premier match : il entre, il
marque.
Viorel Moldovan est entré au FC Nantes par la grande
porte, sur un coup de tête, un soir d’août
2000. C’était match de gala à la Beaujoire,
avec Marseille pour adversaire et des tribunes combles malgré
le crachin distillé par le ciel depuis le début
de l’après-midi. Un public nombreux donc, alléché
par la réputation de l’adversaire, le bon départ
effectué par les Canaris (avec notamment une victoire
5-2 à Monaco) et la présence sur le banc de
la dernière recrue, un buteur, un vrai de vrai enfin,
Viorel Moldovan.
Ce fut comme un coup de foudre. Un trait d’amour immédiat
entre d’un côté des spectateurs et une
équipe cruellement déçus par les prétendants
qui avaient précédé le Roumain, les
pâles Bjekovic, Bustos, Giallanza, Mazzoni, et de
l’autre un Viorel heureux de découvrir un football
susceptible de combler ses désirs trop longtemps
inassouvis.
Un parcours itinérant
Car avant de s’installer durablement à Nantes,
Moldovan avait gagné beaucoup d’argent, il
ne s’en cachait pas, mais il avait rarement tutoyé
le bonheur, si ce n’est peut-être dans ses jeunes
années, au Gloria de Bistrita, le club de sa ville
natale, puis au Dinamo de Bucarest. Il avait quitté
la Roumanie à 22 ans et entamé une carrière
de mercenaire, vendant la précision de ses coups
de pied contre des paquets de dollars, ou plutôt de
francs suisses, puisque c’est en Helvétie qu’il
était d’abord allé monnayer sa redoutable
efficacité. Il aurait mérité mieux
que ce championnat de valeur moyenne où il faisait
joujou avec des adversaires souvent lourds et empruntés,
parfois frappés par le retour d’âge.
Il empilait les buts, 46 en deux saisons, sans atteindre
pour autant le nirvana tellement il survolait les médiocres
qui l’entouraient.
Echec en Angleterre
Les Grasshoppers de Zurich, soucieux de rentabiliser leur
trésor l’avaient alors vendu en Angleterre.
Or, Viorel Moldovan s’était ennuyé dans
les brumes de l’industrieuse Coventry, attendant vainement
des ballons qui lui passaient largement au-dessus de la
tête. Il n’était pas fait pour le jeu
physique, dénué d’intelligence, qui
est souvent de mise dans les classes moyennes du football
britannique. Il avait aussi découvert que, nonobstant
les tacles et les défis physiques aériens,
les contacts humains ne constituent pas forcément
le point fort des joueurs de son autrefois gracieuse Majesté.
Viorel avait astiqué le banc et disputé seulement
10 matches, soldés par un très maigre butin
: un tout petit but.
Il était revenu en Suisse, le temps de vérifier
sa précision de buteur-horloger, 17 buts en 19 matches
avec les Grasshoppers, puis il avait tenté une nouvelle
aventure en Turquie, à Fenerbahce. Elle s’était
avérée concluante, sauf que le calme Viorel
avait du mal à s’habituer à l’exubérance
et aux excès de supporters prompts à piétiner
les terrains secrets de leurs idoles.
Le courant était passé tout de suite
« Je veux partir » avait-il dit en regagnant
la Suisse où, un soir de juin 2000, il était
tombé par hasard sur la retransmission télévisée
de la finale de la Coupe de France opposant Nantes à
Calais. Il avait alors tout apprécié : le
jeu, pourtant pas folichon durant ce match-là, l’état
d’esprit et la victoire des Canaris. Deux mois plus
tard, et sans qu’il existât un lien évident
entre les deux événements, il avait posé
ses valises sur les bords de l’Erdre. Pour l’acquérir,
le FC Nantes avait battu son record de dépense en
matière de transferts : il avait signé un
chèque de 32 millions de francs. Mais il a fréquemment
beaucoup plus mal placé son argent.
Car tout de suite, le courant était passé
entre Viorel Moldovan et ses nouveaux coéquipiers.
Lui découvrait enfin le football collectif et offensif
qu’il avait toujours rêver de pratiquer, les
autres voyaient arriver le buteur qui leur manquait cruellement
pour concrétiser leurs bonnes intentions sur les
tableaux d’affichage. Viorel avait certes débarqué
avec quelques kilos superflus mais Georges Eo l’avait
soumis à un travail intensif et Raynald Denoueix
avait donc décidé de l’inclure dans
son groupe pour la rencontre face à Marseille.
La qualité d’être là au
bon moment
C’était le 19 août 2000 et longtemps
les Jaunes avaient peiné face à une équipe
marseillaise solide et accrocheuse. Salomon Olembé
avait certes répondu à un premier but de Jérôme
Leroy mais, à la 64è minute, Marcelinho, sur
coup franc, avait redonné l’avantage à
l’OM. Deux minutes plus tard, Denoueix lançait
Moldovan sur le terrain. En deux temps et quelques mouvements,
le Roumain démontra qu’il était fait
pour l’équipe nantaise. « On y joue si
bien au ballon, » dira-t-il. Les Canaris égalisèrent
par Nestor Fabbri. Et puis, à la troisième
minute des arrêts de jeu, ils bénéficièrent
d’un dernier corner. Une ultime chance. Ziani le botta
devant le but où Abardonado, du haut de ses 184 centimètres,
surveillait étroitement Moldovan. C’est pourtant
la tête du Roumain qui se projeta la première
sur le ballon pour l’expédier au fond des filets
de Trévisan. Moldovan n’était pas très
grand, 1,77 mètre, mais il possédait le juste
« timing ». Nantes l’emporta 3-2.
Ce fut le début d’une belle aventure qui conduisit
Nantes à la conquête de son huitième
titre. « Viorel, assurait Raynald Denoueix, possède
la qualité d’être là au bon moment,
c’est la qualité de tous les grands buteurs,
cela s’appelle le flair. »
11 buts en 2000-2001
Moldovan n’était pourtant pas seulement un
renard des surfaces jaillissant à l’instant
décisif, il détenait aussi l’art d’embarquer
ses adversaires sur des fausses pistes pour mieux resurgir
à l’endroit et à la seconde où
il n’était plus guetté, il savait enfin
se montrer très altruiste. Son adaptation au jeu
nantais fut une complète réussite et il marqua
11 buts au cours de la saison 2000-2001. Il en avait également
marqué 5 en 5 matches de Coupe de l’UEFA dont
trois en un seul match, face aux Ukrainiens de Krivoi Rog.
Déjà, pourtant, il avait raté 11 rencontres
car s’il avait un moral de fer, forgé par son
passage dans des pays et des cultures différents,
sa musculature avait parfois la fragilité du verre.
Elle lui compliqua en tout cas l’existence au cours
des deux saisons suivantes : il ne disputa que 17 rencontres
(5 buts) en 2001-2002 et 17 encore (4 buts) en 2002-2003.
« Merci Viorel, nous on n’a pas oublié
»
En outre, Viorel se sentait nettement mois à l’aise
dans le football d’Angel Marcos que dans celui de
Raynald Denoueix et s’il ne laissa pas percevoir sa
colère plus souvent et plus ouvertement, c’est
assurément parce qu’il est un homme bien élevé.
L’entraîneur argentin eut notamment l’extrême
indélicatesse de ne pas le titulariser lors du dernier
match de la saison, qui devait être celui de ses adieux,
le 24 mai 2003. La rencontre se déroulait à
la Beaujoire et l’adversaire était, clin d’œil
du destin, l’Olympique de Marseille. Il semblait dit
que l’histoire allait se terminer comme elle avait
commencé car les cris de la foule résonnèrent
si fort et les banderoles devinrent si explicites que Marcos,
à la 58è minute, fut bien obligé de
faire entrer le Roumain. « Merci Viorel, nous on n’a
pas oublié » proclamait un écriteau,
près duquel un autre implorait « Coco reviens,
ils vont tuer le FCN ». Moldovan ne marqua pas, Nantes
l’emporta quand même, but de Quint à
la 84è minute et quand le coup de sifflet final fut
donné Nicolas Gillet hissa Viorel sur ses épaules
pour lui faire accomplir un tour d’honneur aussi émouvant
qu’applaudi.
Le retour en janvier 2004
Les joueurs avaient mieux perçu l’importance
dans le jeu et les qualités morales du Roumain que
son entraîneur. Et probablement que ses dirigeants.
Moldovan, la mort dans l’âme, s’était
résolu à partir et il avait signé un
contrat juteux aux Emirats Arabes. Il apprit trop tard qu’Angel
Marcos avait été débarqué au
profit de Loïc Amisse, lequel aurait bien aimé
le voir rester. « Mais j’ai donné ma
parole, je ne peux pas revenir dessus, » expliqua
Viorel.
L’argent cependant ne fait forcément le bonheur,
surtout quand on possède déjà un solide
compte en banque. Le Roumain s’ennuya très
vite aux Emirats et, poussé par la nostalgie d’un
bonheur perdu, il revint hanter les couloirs de la Beaujoire.
Nantes marquait peu de buts, on finit par lui proposer un
contrat. Il accepta d’être rétribué
au rendement, c’est à dire au match. Son grand
retour s’effectua en janvier 2004 et il recommença
à jouer comme s’il n’était jamais
parti.
11 buts en 12 matches
Il se fondit immédiatement dans un collectif qui
pourtant ne tournait pas forcément très rond
et, surtout, il tourna à l’effarante moyenne
d’un but par rencontre. Nantes retrouva son sourire
et regagna des places au classement. Au bout de trois mois
d’embellie, Viorel vit toutefois sa réussite
diminuer. Il s’essouffla et, preuve de son influence,
Nantes recommença à décliner avec notamment
une défaite en finale de la Coupe de la Ligue où
Moldovan ne fut pas déterminant. Ses muscles avaient
recommencé à le tirailler, ils lui gâchèrent
sa fin de saison.
Il avait tout de même signé 11 buts (autant
qu’en 2001) en 12 matches et peut-être aurait-il
été judicieux de lui proposer une prolongation.
Le projet ne fut pas réellement abordé et
Viorel préféra s’en aller, pour de bon
cette fois, au Servette de Genève. La faillite de
ce club vient de le pousser à mettre fin prématurément
à sa carrière. Il n’a pas encore 33
ans mais aucune des rares offres qu’il a reçues
ne l’a réellement séduit.
Viorel Moldovan tourne donc la page, il n’a laissé
que de bons souvenirs à Nantes, avec deux arrivées
tonitruantes et deux départs, hélas, sur la
pointe des pieds. Dans un contexte épanouissant,
il s’était défait de son âme de
mercenaire, il était presque devenu un modèle
de fidélité. Il avait trouvé le bonheur.
Il est des grands clubs qui auraient l’idée
d’organiser un jubilé pour honorer un buteur
et un joueur de cette envergure.
B.V.
Le 1er match de Moldovan à Nantes.
Le 19 août 2000 : Nantes bat Marseille 3-2. 35.000
spectateurs. Arbitre : D. Ledentu.
Buts pour Nantes : Olembé (29’), Fabbri (76’),
Moldovan (90’+3). Pour Marseille : Jérôme
Leroy (22’), Marcelinho (64’). Entraîneur
: Denoueix.
Nantes : Landreau - Laspalles, Savinaud,
Fabbri, Mario Silva (puis A. Touré (73’) -
Berson, Olembé, Carrière, Ziani - Da Rocha
(puis Ahamada, 84’), Monterrubio (puis Moldovan, 66’).
Marseille : Trévisan - Z. Camara,
N’Gotty, Gallas - Brando, J. Leroy, Ingesson, Dos
Santos - _ Adriano (puis Abardonado, 74’), Marcelinho
(puis Belmadi (82’) - Bakayoko. Entraîneur :
Abel Braga.
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