Bien sûr, nous ne pouvons pas cautionner ce qui s'est passé à Sochaux, dans le virage de Bonal. On n'adhère pas à la violence et nous avons vu, horrifié, un compagnon de la stadière blessée à un oeil, une jeune femme de 25 ans, pleurer tandis qu'une ambulance l'emportait vers l'hôpital. On peut d'ailleurs se demander si le responsable qui a décidé qu'il était moins dangereux d'opposer une résistance plus ou moins musclée à une cinquantaine d'envahisseurs que de les laisser faire, a effectué le bon choix. Où seraient-ils allés, une fois investie la sacro-sainte pelouse ? Dénicher Gripond dans la tribune officielle ? Allons, il était déjà à l'abri. Finir les restes des bouteilles de champagne dont les bouchons sautent allègrement dans les salons, entre une louche de caviar et un plateau débordant de petits fours ? Quel crime, en effet ! A ce sujet, nous avons moyennement apprécié l'un des commentaires de Plessis, le président sochalien, laissant entendre qu'il faudrait songer à effectuer un tri parmi « la clientèle » des stades de football. Quel serait son critère de sélection, à part l'argent, puisque c'est là, visiblement, le mot qui compte le plus dans le foot-business d'aujourd'hui ?
Chercher à analyser, à comprendre
Oui, nous sommes tristes d'avoir vu ces scènes, ce saccage gratuit. Il nous semble pourtant que condamner, toujours après coup bien sûr, c'est plus confortable, les excès de ces supporters (« pseudo-supporters, » disent-ils) avec une véhémence proche de la démagogie, relève d'une trop grande facilité. Il serait préférable, sans doute, de chercher, sinon à comprendre, du moins à analyser les phénomènes dont ils constituent l'expression. Car s'il est évident que parmi eux se glissent des excités alcoolisés, auxquels le football ne sert que de prétexte pour s'exhiber devant des caméras souvent complaisantes, pour ne pas dire complices, il est tout aussi certain que la plupart d'entre eux sont des amoureux dépités, trahis par un club dont ils sont finalement, désormais, dans le foot-business, on y revient, les plus ardents soupirants.
Le public et les joueurs d'accord
Nous entendons depuis de longs mois « le peuple de la Beaujoire », comme l'a appelé le président dans sa lettre de plates excuses expédiée au FC Sochaux, le peuple de la Beaujoire donc, hurler « Gripond démission ! » En vain. D'ailleurs, il arrive que la noblesse de la tribune officielle, lorsqu'elle entend ces cris, manifeste un soupçon de désapprobation par un haussement d'épaules. Une femme glousse : « Encore ! ». « Y'avait longtemps ! » glisse une autre en fronçant les sourcils.
Nous avons également écouté le capitaine de l'équipe, Mickaël Landreau, déclarer en décembre que l'ancien fossoyeur de Prost Grand Prix n'est pas l'homme qu'il faut à la tête du FC Nantes. Et nous avons vu tous ses copains se ranger derrière lui.
Le roi est sourd, le roi est aveugle
Le roi, pourtant, est toujours là. Le roi est sourd. Le roi est aveugle. Le roi reçoit et dans cette même tribune officielle, il serre les mains de tous ceux qui n'ont pas le courage de lui dire de se retirer. Voici un député qui s'efforce de faire voter des avantages fiscaux pour les footballeurs, comme s'il n'étaient pas payés assez cher, comme s'il n'y avait pas mieux à faire ni plus pauvre dans sa circonscription. « Bonjour M. le député » « Bonjour M . le Président .» Voici l'ex-président de la Fédération, Claude Simonet, ancien dirigeant du FC Nantes, dont la femme, vraie supportrice des Jaunes n'a pas pu ne pas s'apercevoir que le club de son cœur est trahie. Il devrait lui dire : « Partez monsieur, partez ! » Mais non, ils se saluent, ils se sourient. Dans ce monde-là, il faut être poli. Hypocrite.
« Gripond démission » crient les spectateurs, les supporters, trop seuls, démunis face à la puissance de l'argent. Le roi fait la moue, bardé dans son incompétence, son gros salaire, son pseudo-pouvoir. S'il le pouvait, il demanderait volontiers à son « actionnaire », comme il l'appelle, l'autorisation de tourner vers les contestataires les canons des engins de mort dont il possède les secrets de fabrication.
Rien que leur passion
Que reste-t-il aux supporters face à ce dédain, ce mépris ?
Rien d'autre que la passion pour leurs couleurs, née souvent dans un flash d'enfance, une offensive de rêve, un dribble fou, un numéro d'artiste. Amour qui possède en outre, à Nantes, la singulière particularité de se confondre avec une philosophie de jeu que les profiteurs de tout poil n'ont pas la logique de comprendre. Et il ne faut pas se leurrer, il convient d'ailleurs de constater les mouvements similaires qui se produisent dans d'autres clubs : dans le foot-business d'aujourd'hui, ce sont les supporters qui se montrent les plus fidèles et les plus attachés à leurs couleurs.
Quel est donc l'amour de Gripond pour le FC Nantes ?
Les dirigeants ? Quel est donc l'amour de Gripond pour le FC Nantes ? Qui l'a amené à la Beaujoire si ce n'est l'appât du profit, du vedettariat ? Demain, il sera ailleurs, bien recasé, au chaud, affairé à couler une autre société. Le football ne l'a jamais intéressé, enfin en tant que jeu. Il se vantait simplement, quand il est arrivé, d'avoir été, dans sa jeunesse, supporter de l'Olympique de Marseille. On peut espérer meilleure recommandation de la part d'un président du FC Nantes.
Les joueurs ? Nous les aimons beaucoup les joueurs. Mais, sauf exception, ils ne font pas preuve d'une fidélité à toute épreuve. Même Mickaël Landreau, qui incarne si bien nos valeurs depuis bientôt 10 ans, nous déçoit lorsqu'il annonce par exemple « qu'il est prêt à rester, sauf si évidemment un grand club lui fait des appels du pied ». Il est permis de le comprendre, il reste que les joueurs d'à présent nous énervent un peu quand ils nous parlent de leur plan de carrière avant du plan de jeu et laissent toujours plus ou moins penser, sauf à leurs débuts, qu'ils sont là par défaut. Même si leurs aînés n'étaient pas, eux non plus, du genre désintéressé, sinon les équipes de 1983 et de 1995 auraient eu un autre destin et même si les Canaris actuels semblent respecter leurs couleurs, on apprécierait souvent un engagement plus marqué de leur part.
« Bonjour M. le Président… »
Les journalistes qui font mine de déplorer la situation actuelle ? Mais qu'ont-ils dit, qu'ont-ils fait, qu'ont-ils écrit, à de rares exceptions près, lorsque Gripond a viré Denoueix ? Et à part des articles de bienvenue, bien gentils, convenus, lisses et fades, comment réagiront-il si dans un mois Dassault expédie à la Jonelière un Gripond bis, une sorte d'énarque, soi-disant champion en économie, mais incapable d'établir la différence entre un corner et un 6 mètres et que l'apparition de la première caméra de télé mettra en transes ?
Les politiques qui s'inquiètent, non pas parce que les résultats du club risquent de le faire descendre mais en raison des éventuelles mauvaise retombées à l'heure des élections ? Mais ce sont eux qui ont confié le club à la Socpresse ! « Bonjour M. le Président ». « Bonjour M. le Maire. »
Ne pas les entendre relève de la bêtise
On a beau faire le tour, personne, non personne, n'aime autant son club que les supporters. Les supporters qui s'abonnent. Les supporters qui parfois n'ont pas le droit d'assister aux entraînements, ou alors à l'écart, bien parqués. Les supporters qui attendent souvent des heures pour un autographe, une photo. Les supporters qui parcourent la France pour suivre leur équipe. Les supporters qui chantent.
Les supporters qui pleurent aujourd'hui, tant leur amour a été déçu, maltraité, floué. Ne pas les comprendre, ne pas les entendre relève de la bêtise. Et c'est sans doute aussi risquer que, parfois, rarement en fait, Nantes a encore cette chance-là, que la bêtise donc s'insinue dans leurs rangs.
B.V.
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