Luccin, Dalmat, Piocelle, Olembe, Mexès. Des noms qui ont longtemps fait fantasmer les amateurs de beaux espoirs. Futurs Didier Deschamps, futurs Laurent Blanc, prototypes du footballeur de l'an 2000, ils ont pourtant déçu, et, pour certains, sombré. Leur autre point commun, c'est de tous être partis dans de « grands clubs » avant leurs 23 ans.
Depuis le fameux arrêt Bosman, le championnat de France a subi une bien involontaire cure de jouvence. Les stars et même les joueurs moyens ont fait en masse leurs valises pour le pays du tiramisu ou celui de la gelly . Incapables de les remplacer par des joueurs étrangers de leur niveau faute de moyens financiers, les dirigeants français ont alors massivement promu les produits de leur centre de formation. Young is beautiful , et surtout pas cher. Revers de cette médaille, on a donné à ces joueurs d'importantes responsabilités dans leurs clubs, et on a nourri l'idée, déjà bien ancrée chez certains, qu'à 20 ans on n'a plus rien à apprendre. Un discours que les agents ont vite repris à leur compte.
Ailes brûlées
Entre temps, l'équipe de France est devenue championne du monde. Une consécration pour la formation à la française, qui a bénéficié là d'un surcroît de publicité. Les grands clubs italiens ou anglais se sont vite intéressés à la question. A leur façon. Ils ont attiré dans leurs filets des joueurs de plus en plus jeunes. Yahia (Inter), Péricard (Juventus), Sinama Pongolle et le Tallec (Liverpool) ou Aliadière (Arsenal) sont les exemples les plus connus, mais on pourra aussi citer Biakolo (Inter), Fofana (Juventus), ou les Nantais Fabre (Bologne) et Moreau (Inter). Quelques uns, comme le Lensois Diarra (Bayern, puis Liverpool) ou le Bolonais Meghni (Bologne) s'en sont sortis honorablement. Beaucoup se sont brûlés les ailes.
Marchepied vers la gloire
Les clubs français ont vite réagi à cet exode inattendu en faisant signer les joueurs de plus en plus tôt, le dernier exemple en date étant celui de Jérémy Menez, plus jeune pro du championnat à Sochaux. Jusqu'alors, les cas de précocité existaient bien, même s'ils étaient plus rares. Mais les baby joueurs étaient stagiaires ou aspirants, et n'étaient pas payés comme des pros. Deschamps en est un exemple à Nantes. Aujourd'hui, on se félicite de la signature de la charnière centrale des 18 ans, Thicot-El Mourabet. Des joueurs qui ne fouleront pas une pelouse de L1 avant deux, trois ou même quatre ans. Ce type de contrat est nécessaire pour garder les joueurs dans ce monde hyperconcurrentiel qu'est devenu la formation. Mais il renforce l'ambition souvent exacerbée chez certains qui voient dans leur club formateur un simple marchepied pour la gloire.
Frustration et stagnation
La gloire, c'est bien sûr la Ligue des champions, l'équipe de France et un grand club (comprendre: Paris, Lyon, Marseillle ou Monaco, ou un club étranger - et oui, Newcastle est un grand club), la trilogie magique de la télévision et de la presse sportive. Aujourd'hui, il semble qu'une carrière réussie est impossible sans ces trois éléments. Comme si seuls les très grandes victoires valaient la peine d'être conquises. Comme si une carrière de joueur de L1 était infamante. « Vous comprenez, à 22 ans, après quatre ans en pro, il faut que je parte si je veux réussir ma carrière. Pour ne pas devenir un Da Rocha ou un Savinaud. » Mais ce qu'oublient ces petits arrivistes à crampons, c'est qu'un transfert est un passage délicat. Leurs agents, par la commission alléchés, leur font miroiter gloire sportive et médiatique et font tinter les pièces. Ils oublient de leur dire ce qu'est réellement la concurrence dans un club européen, ce que signifie, à 22 ans, une saison de cinq titularisations en Coupe de la Ligue et une douzaine d'entrées en jeu dans des matches déjà pliés. La frustration, la stagnation.
Devenir un joueur adulte
A 21 ans, la formation d'un jeune footballeur est incomplète. Laurent Guyot, directeur du centre de formation nantais disait il y a peu qu'un joueur est réellement professionnel quand il a derrière lui une centaine de matches de L1. Car seule la compétition permet une réelle maturation. Un joueur comme Jérémy Toulalan, bien que très talentueux, n'est pas encore un joueur « adulte ». Il commet régulièrement des fautes que seule l'expérience lui permettra d'éviter. Une expérience qui s'acquiert en jouant en L1. Une expérience qui lui permettra en outre de mieux appréhender la compétition, de développer ses connaissances tactiques ou de se découvrir des qualités de leader dans le jeu qu'une place de remplaçant à Lyon, Milan ou Barcelone ne permet pas de développer. Sans oublier que la maturité nécessaire à la réussite dans un environnement de haute compétition est quelque chose de rare à 21 ans.
La mort de la formation ?
Pour les clubs plus huppés, le système a du bon. Ils paient cher des joueurs qu'ils auraient payés très chers s'ils avaient dû attendre qu'ils soient arrivés à maturité. Ils disposent de remplaçant talentueux et désireux de réussir. En cas d'échec, ils peuvent aisément les revendre à des prix intéressants car les joueurs en question ont toujours du potentiel (Pedretti cette année, par exemple). Mais ce système risque de tuer les clubs formateurs.
Il leur était déjà difficile de conserver une équipe plus de 3 ans. Cela devient aujourd'hui difficile de l'amener au delà de la deuxième saison, avec des joueurs toujours plus jeunes et donc incapables de rivaliser avec les autres clubs. Sur le plan économique, le centre de formation est rentabilisé par ces gros transferts. Mais le club perd de l'argent, car les joueurs sont vendus avant d'atteindre leur valeur maximale. Qui plus est, il devient impossible de construire un jeu collectif réellement performant dans la mesure où les joueurs ne restent pas ensemble plus de deux saisons. Or, seul le succès sportif peut permettre de développer les recettes d'un club formateur, avec une participation à la ligue des champions ou une meilleure redistribution des droits tv, par exemple.
Le système auto-entretient donc la domination des clubs riches et marginalise les clubs formateurs. Avec le risque que ceux–ci finissent par abandonner une formation qui leur coûte cher pour reproduire ce schéma de prédation avec des joueurs étrangers plus jeunes encore. Et piller à leur tour les clubs argentins, brésiliens ou d'Europe de l'Est.
Naoned Citizen
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