Il paraît qu'avant le match contre Saint-Etienne, à la mi-octobre, Rudi Roussillon avait réuni les joueurs et le staff technique et leur avait lancé :
Il nous faut 9 points au cours des quatre matches à venir !
C'est là un discours de dirigeant on ne peut plus conformiste, ce qui n'est pas loin de signifier un peu idiot sur les bords. C'est fou d'ailleurs comment des chefs d'entreprise qui brillent dans leurs domaines se transforment souvent en incompétents notoires dès lors qu'ils s'occupent de foot. Ils croient, bêtement, qu'un club se dirige comme n'importe quelle autre entreprise, qu'il suffit de claquer dans les doigts pour obtenir les résultats souhaités. Clic-clac, ramenez moi dix points s'il vous plaît, sinon gare à vos matricules. Et comme ils prennent les joueurs pour des enfants, ce qu'ils sont parfois tant on prend soin de les déconnecter des réalités de la vie, ils ont vite fait de croire qu'il suffit d'une menace, d'un discours musclé, guerrier au besoin, pour les conduire à l'objectif convoité.
La leçon n'a pas servi
L'ennui est que ce n'est pas aussi simple, ne serait-ce d'ailleurs que parce que tous les présidents, ou à peu près, tiennent les mêmes langages. Ils placent, comme ils disent, « les joueurs devant leurs responsabilités », c'est un terme qui plaît aux médias, et par contre coup aux supporters de base, et vogue la galère : il nous faut 9 points en quatre matches crénom de dieu, sinon je prends la baguette !
Du côté de Sochaux, Jean-Claude Plessis, ancien cadre de Peugeot, avait lancé le même genre de défi à ses joueurs. Et comme Rudi Roussillon, il n'a guère été entendu. Car au cours des quatre rencontres visées par le président nantais, elles ont opposé le FCN à Saint-Etienne, Lille, Le Mans et Nancy, les coéquipiers de Mickaël Landreau n'ont pris que 7 points. Ce n'est déjà pas si mal, c'est cependant deux de moins que l'objectif présidentiel. La vie a continué malgré tout, c'est d'ailleurs heureux, et la leçon n'a guère servi puisqu'il paraît que Roussillon, qui ne possède décidément qu'un sens relatif des réalités aurait envisagé de compter 28 points à la fin de la première partie du championnat. « Mais c'est un total qui, si on le réédite au cours des matches retour, nous mettrait pratiquement européen, » a sourcillé Serge Le Dizet, lequel possède sans doute davantage de sagesse.
Le manuel du parfait petit dirigeant obtus
Jean-Luc Gripond, paix à son âme de président, mais il est encore là, bouffon du roi, pour gâcher la vie du club en coulisses et s'offrir, au besoin, des vacances exotiques aux frais de la princesse FCN. Gripond, disions-nous, cultivait les mêmes travers, appris sans doute dans « le manuel du parfait petit dirigeant obtus ». Ainsi, au soir d'une victoire, il s'était insurgé contre Mathieu Berson qui, consultant le classement, avait souligné l'écart séparant Nantes du premier rélégable. « Mais comment pouvez-vous avoir aussi peu d'ambition ? avait tonné l'ancien fossoyeur de Prost-Grand Prix. C'est vers la tête qu'il faut regarder ! »
Le pauvre Gripond, enfin pas trop
On pourrait à la limite comprendre cette réaction si Gripond ne transformait en vil plomb tout ce dont il s'occupe. Il est clair cependant que la raison était du côté de Berson car ce n'est pas manquer d'ambition que faire preuve d'un minimum de réalisme et savoir regarder la réalité en face. L'anecdote nous incite d'ailleurs à penser que le pauvre Gripond (enfin pas trop, vu les salaires qui lui sont versés pour ne pas réaliser grand chose) n'aurait jamais pu travailler avec Guy Roux. Lequel, chaque début de saison, visait le maintien, ambition qui n'a pas empêché Auxerre d'être champion de France. On ne voue pas un culte immodéré à l'ancien sachem de Bourgogne, il s'en faut, il reste qu'entre lui et Gripond il n'y a pas réellement photo sur le plan des connaissances et des aptitudes footballistiques.
Mais où trouver les points ?
Et nous nous sentons profondément ennuyés lorsque Roussilllon, revenons à lui, utilise des méthodes tellement éculées qu'elles ne sauraient respirer l'intelligence. « Il nous faut tant de points, » exige-t-il. Ah bon ? On suppose qu'il en a demandé trois face à Strasbourg. Mais on pense aussi qu'Afflelou, qui vient d'empoigner par les cornes le destin de Strasbourg, a réuni ses joueurs avant leur match contre Nice et leur a claironné : « Il me faut quatre points au cours des deux prochaines rencontres. » Les Alsaciens n'en ont obtenu qu'un face aux Azuréens, il leur en faut donc trois à Nantes. Sinon, le lunetier, qui en matière de football est visiblement du genre myope, il n'aperçoit guère plus loin que le bout de son nez, ne sera pas content. Oui, mais si Strasbourg prend trois points à La Beaujoire, il en restera combien pour Nantes ? C'est le lieutenant de Dassault qui risque de tordre du nez !
La conclusion est simple : il ne suffit pas qu'un président donne ses ordres afin d'obtenir x points pour que les joueurs, malgré toute leur bonne volonté et même leurs talents, parviennent à le satisfaire. C'est d'ailleurs heureux, sinon c'est celui qui gueulerait le plus fort, menacerait le plus ou posséderait le meilleur bagoût qui l'emporterait. En somme, le président propose et les joueurs disposent. Les siens et éventuellement ceux d'en face.
Roussillon, on veut le croire, n'est pas bête
Car c'est là que le football se différencie notablement des autres entreprises. Si Roussillon convoque demain les journalistes de « L'Express » et les somme de rédiger et de composer un meilleur magazine, il est possible, s'ils ne le menacent pas d'une grève parce qu'il s'introduit dans un domaine qui n'est pas le sien, celui de rédaction, que le chiffre de ventes augmente. Même si les présidents du « Point » ou de « Marianne » agissent pareillement. Parce que les lecteurs peuvent acheter un, ou deux, ou même trois journaux, dès lors qu'ils sont attrayants et répondent à leurs attentes. Chez Afflelou aussi, on peut se payer plusieurs paires de lunettes, tout en se servant chez un concurrent. Seulement en foot, on a beau triturer le problème dans tous les sens : il n'y a jamais plus de trois points attribués par match. Pire : il arrive qu'il n'y en ait que deux. C'est un postulat de base que les présidents parviennent rarement à assimiler, y compris les plus intelligents. Roussillon, on veut le croire, n'est pas bête. Pourquoi alors le laisse-t-il paraître ? Pourquoi ne se démarque-t-il pas ? Pourquoi ne laisse-t-il pas Serge Le Dizet œuvrer dans la sérénité ? Pourquoi en conclusion nous force-t-il à poser la question : Roussillon est-il con ?
Est-ce bien là la place d'un président ?
Dans le même ordre d'idées, on a remarqué l'intrusion grandissante du président dans les parages immédiats des joueurs avant et après les matches. Et même à la mi-temps puisqu'à Marseille il a profité du quart d'heure de relâche pour effectuer un petit tour dans le vestiaire. Et je te serre la main de l'un, et je te tape sur l'épaule de l'autre ! Certains auront vite fait de s'interroger : est-ce bien là la place d'un président ? Ne se montrerait-il pas plus avisé en occupant son siège rembourré dans la tribune présidentielle et en laissant le vestiaire sous la coupe et l'autorité de l'entraîneur ? On n'est pas loin de partager cette opinion. On peut toutefois estimer, en contre-poids, que le club sort d'une présidence si frigorifique et si imbue d'elle-même qu'il n'est pas forcément mauvais que Roussillon apporte un peu de chaleur. Il nous souvient aussi qu'au début de son règne l'enthousiaste Guy Scherrer se montrait parfois envahissant, il fallut même que Jean-Claude Suaudeau érige quelques freins et rappelle que le jeu était son domaine exclusif.
On se demande si Le Dizet aurait le cran de réagir d'identique manière si, d'aventure, Roussillon débordait du cadre que son poste lui impartit. Car le danger est réel : un président, quand on le laisse agir, a vite fait, non seulement d'exiger des points mais de croire qu'il connaît, lui, les meilleurs moyens pour les obtenir. Et le voilà qui parle de la tactique, de la titularisation de Pierre et du remplacement de Paul. Il se prend pour l'entraîneur, il érode son influence pour essayer d'accroître la sienne.
Il se murmure que…
Il se murmure d'ailleurs que Rudi Roussillon aurait invité les joueurs à oublier le football à la nantaise et à ne penser qu'au résultat. On pressent que Jean-Claude Suaudeau, s'il obtenait confirmation de cette rumeur, sursauterait d'effroi. D'une part, parce qu'il ne saurait admettre qu'un président se lance dans des discours techniques ou pire tactiques, même si, comme Roussillon, il a joué dans sa jeunesse (mais c'était à Auxerre et au Red Star !). D'autre part, parce que le football à la nantaise, les conformistes et les esprits étroits l'oublient trop, est aussi, et d'abord, un modèle d'efficacité. Les huit titres de champion de France qui agrémentent les vitrines de la Jonelière en constituent la plus éloquente des preuves.
Ce n'était pas par bêtise que José Arribas avait institué le beau jeu. C'était parce qu'il était intelligent. C'était pour permettre à ses joueurs de mieux s'épanouir. C'était pour procurer un maximum de plaisir aux spectateurs. C'était pour gagner.
Et s'il arrivait au président du FC Nantes de prêcher des discours et des méthodes s'inscrivant à l'encontre de la philosophie et des belles idées qui ont fait la force, la renommée et le palmarès du club, s'il allait à lancer, comme son sinistre prédécesseur, « le beau jeu, c'est du pipeau », on vous laisse deviner la réponse qu'il conviendrait alors de fournir à notre question initiale, on vous la rappelle : « Roussillon est-il con ?»
B.V., le vendredi 25 novembre 2005.
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