Qui sera champion de France à la fin de la saison ? Quand, durant
l’été 1964, ils se sont livrés à l’habituel
jeu de pronostics dont la principale utilité consiste à
remplir leurs colonnes, les journaux n’ont jamais cité le
FC Nantes. Pensez, le FCN est monté en Division 1 pour la première
fois de son histoire tout juste un an auparavant, il n’a aucun palmarès
et si beaucoup s’accordent pour reconnaître qu’il pratique
un football de qualité, ils sont nombreux à
prétendre que cette caractéristique ne suffit pas pour remporter
un titre. Plaire oui, gagner non.
Guerre de religions
Il est vrai qu’à cette époque le football français
s’engage dans une «guerre de religions » où les
partisans des différents styles de jeu vont s’affronter farouchement.
Il y a d’un côté « les réalistes »,
ceux qui professent que le foot est d’abord un combat et une affaire
d’engagement physique. Ils prêchent pour les paroisses de
Bordeaux, de Lyon, de Strasbourg et les journalistes qui véhiculent
ces idées appartiennent pour la plupart au groupe de presse formé
par « L’Equipe ». Leur leader est Jacques Ferran, éditorialiste
renommé mais considéré comme proche des pouvoirs
dirigeants. Ils doivent faire face à leurs collègues de
« Miroir Sprint » et du « Miroir du Football »,
« les progressistes » qui, inspirés par la plume brillante
et les idées anti-conformistes de François Thébaud,
estiment, eux, que le foot confine à l’art, qu’il doit
être synonyme de panache, d’offensive, de créativité.
Et s’appuyer sur l’intelligence plutôt que sur la force,
la liberté d’expression de préférence aux consignes
contraignantes.
Les idées se télescopent
Evidemment les « progressistes » se sont rapprochés
de José Arribas, lequel s’applique patiemment à inculquer
les mêmes principes à ses joueurs. Rennes et Valenciennes
sont les autres représentants du football d’attaque. Très
vite, les querelles se schématisent. On parle des « destructeurs
», ceux qui pensent d’abord à empêcher les adversaires
de jouer et louangent le résultat, quelle que soit la manière
utilisée pour l’obtenir, fussent-elles contraires à
l’esprit sportif. Et des «constructeurs », ceux qui
vantent les mérites d’un football permettant à chaque
joueur d’exprimer au mieux ses qualités individuelles et
de les mettre au service de la collectivité, afin de rendre celle-ci
meilleure. Les idées se télescopent ainsi à la fois
sur les pelouses et dans les pages des journaux.
Nantes conjugue spectacle et résultats
Les amateurs de beau jeu se pourlèchent les babines en voyant Nantes
confondre les pronostiqueurs et concilier avec brio le spectacle et les
résultats. Jacques Ferran qui croyait cette conjugaison impossible
- alors qu’elle n’est que logique - y perd ses cheveux et
ses acolytes s’emmêlent dans les touches de leurs machines
à écrire. Les Canaris prennent la tête du championnat
une première fois au soir de la 6è journée, après
une victoire sur Angers 2-1, buts de Ramon Muller et de Jacky Simon. Ils
se maintiennent ensuite dans le groupe des leaders, en compagnie de Bordeaux,
Valenciennes et Rennes. A deux journées de la fin, Nantes et les
Girondins se retrouvent à égalité. Valenciennes suit
à un point. Le calendrier propose alors un explosif Valenciennes
– Bordeaux tandis que Nantes est invité à se rendre
à Toulon, un terrain où les crampons, souvent, volent haut.
Nantes-champion, crie le public de Valenciennes
Au stade Nungesser, le match est bloqué. Les Girondins se massent
en défense et multiplient les gestes d’anti-jeu. Visiblement,
ils cherchent le 0-0. Les locaux butent sur leur béton sans parvenir
à trouver la moindre faille. Alors, il se produit une réaction
incroyable de la part du public nordiste. Il se met à scander «
Nantes champion ! Nantes champion ! »
« Ah ! On reste ex-aequo alors… »
Nantes qui joue à 1000 kilomètres de là… Et
qui lui aussi éprouve des difficultés face à la défense
varoise. A 10 minutes de la fin, Gilbert Le Chénadec, victime d’un
rude choc avec un adversaire plus ou moins bien intentionné, est
groggy. Il se relève et reprend la partie, à demi-inconscient.
Il ne joue plus que les utilités mais cet handicap n’empêche
pas Nantes de marquer enfin, à la 86è minute, par Jacky
Simon. « Qu’est-ce qu’ont fait Valenciennes et Bordeaux
? » interroge ensuite Le Chénadec, dans le vestiaire. «
0-0 », lui répond-on. « Ah ! On reste ex-aequo alors…
» calcule le solide Morbihannais. Encore à moitié
dans le brouillard, il n’a pas vu le but de Simon et ses coéquipiers
éprouvent beaucoup de mal pour le persuader qu’en réalité
Nantes a gagné. « Vous me racontez des bobards, » leur
répète-t-il, incrédule.
2-0 en 14 minutes
Ce succès permet aux Canaris de prendre les commandes avec un point
d’avance sur Bordeaux et deux sur Valenciennes. Mais il reste un
match. Contre Monaco, à Marcel-Saupin. La partie s’annonce
difficile car l’équipe de la Principauté est redoutable
: elle a réalise lé doublé deux ans plus tôt
et elle aligne plusieurs joueurs de renom tels les internationaux Yvon
Douis, Théo, Cossou, Artelesa, Michel Hidalgo.…Evidemment,
les 20.000 places que contient alors le stade du quartier de Malakoff
sont prises d’assaut. Nantes attaque d’entrée et Jacky
Simon ouvre le score dès la 9è minute. « Ramon Muller
m’a passé le ballon, raconte-t-il. J’étais à
près de 30 mètres du but mais j’ai levé la
tête et j’ai vu que le gardien était avancé.
Alors, j’ai tenté ma chance, d’un tir dans la foulée.
» Hernandez, le goal azuréen, est lobé, le ballon
passe au ras du poteau gauche et pénètre dans les filets.
Cinq minutes plus tard, Ramon Muller décoche une superbe reprise
de volée. Lucarne ! Nantes mène 2-0.
Le titre est presque dans la poche. Pourtant, en seconde période,
les Canaris perdent de leur superbe. Ils sont près de la consécration
et, insensiblement, ils se crispent. Les Monégasques se montrent
dangereux, Daniel Eon doit effectuer plusieurs sauvetages délicats.
Le public s’inquiète, José Arribas aussi. Sur son
banc, il n’arrête pas de jeter des regards furtifs sur sa
montre, tout en tirant nerveusement sur sa cigarette. A la 89è
minute, Bailet ramène la marque à 2-1. Aie !
Scènes d’allégresse
Ce but jette un coup de froid. La libération, quelques secondes
plus tard, n’en est que plus vive. A peine le coup de sifflet est-il
donné que les joueurs se précipitent sur Arribas pour le
porter en triomphe au milieu des spectateurs qui ont envahi la pelouse.
Les scènes d’allégresse se multiplient et elles se
propagent vite du stade au centre de la ville. Les Canaris prennent place
dans des voitures décapotables qui sillonnent les rues et les conduisent
jusqu’au siège de « Presse-Océan ». La
foule se masse devant l’immeuble et les acclame tandis qu’ils
apparaissent au balcon. Les Blanchet, Gondet, Eon, Suaudeau, Simon, Le
Chénadec, Budzynski savourent l’un des plus enivrants moments
de leur carrière. Tandis qu’ils répondent aux acclamations,
les vendeurs du journal apparaissent avec en mains une édition
spéciale qui vient juste de sortir des rotatives.
Les partisans du beau jeu viennent de remporter une belle victoire et
le « Miroir du Football » va lui aussi célébrer
l’événement comme il se mérite. Dans les colonnes
de « L’Equipe », on se montrera moins enthousiaste.
Et pour la saison suivante, au moment d’établir la liste
des favoris, on n’oubliera plus le FC Nantes.
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De gauche à droite. Debout
: Jort, Bout, Suaudeau, Le Chénadec, Rault, Eon. Accroupis
: Couronne, Guillot, Blanchet, Simon, Boukhalfa. |
Le 30 mai 1965
A Nantes : FC Nantes bat AS Monaco 2-1.
Pour Nantes : Simon (9è), Ramon Muller (14è). Pour Monaco
: Bailet (89è).
20.092 spectateurs. Arbitre : M. Faucheux.
Nantes : Eon - Bout, Budzynski, Le Chenadec, Jort - Suaudeau,
Ramon Muller - Blanchet, Gondet, Simon, Guillot.
Monaco : Hernandez - Forcherio, Artelesa, Novak - Hidalgo,
Casolari - Djibrill, Bailet, Douis, Théo, Cossou.
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