José Arribas se sent confiant en cette fin septembre 1960 lorsque
le FC Nantes prend le train pour Boulogne. L’équipe qu’il
a prise en mains quelques semaines plus tôt commence à tourner
rond, ses cinq premiers matches se sont soldés par trois victoires,
un nul et une défaite. Soit un total de 7 points qui lui permettent
d’occuper la troisième place.
Pour ses débuts avec une équipe pro, José a de quoi
être satisfait. Surtout, il sent que son message passe bien parmi
ses joueurs et qu’ils ne restent pas sourds lorsqu’il leur
demande de ne pas jouer n’importe comment mais de soigner la manière,
de privilégier au contraire la technique et le collectif. C’est
ce football là, basé sur l’attaque, l’intelligence,
les passes redoublées et la mobilité, qui vous permettra
de découvrir le véritable plaisir de jouer, leur répète-t-il.
Ils l’écoutent avec une attention croissante, ils suivent
de mieux en mieux ses conseils.
José Arribas venait d’arriver |
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En constatant leur application
et leurs progrès, en percevant leur enthousiasme naissant,
Arribas ne regrette décidément pas d’avoir laissé
son café de Noyen-sur-Sarthe et les footballeurs amateurs
dont il s’occupait. La séparation a été
difficile, il ne comptait que des amis dans ce petit bourg de la
Sarthe, mais le foot est sa passion et il sait qu’il ne pourra
la vivre pleinement que dans un club pro. Ancien joueur au Mans,
il s’est essayé une première fois au métier
d’entraîneur à Saint-Malo. L’expérience
a tourné court car on ne lui a pas procuré l’emploi
de gardien du stade qui lui avait été promis. Arribas
n’a qu’une parole et il apprécie peu les gens
qui ne tiennent pas leurs engagements. Alors, il se dit que Nantes
va peut-être lui permettre de prendre sa revanche, de gommer
définitivement ses rancoeurs malouines et surtout de mettre
ses belles idées en pratique. De prouver leur bien-fondé.
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Deux buts en 6 minutes
Le FCN est un bon club de 2è division, qui sait si un jour prochain
il ne pourra pas viser plus haut. En ayant toujours le souci de produire
du beau jeu et de resserrer les liens entre les hommes. Ce sont des notions
que ce petit réfugié espagnol, chassé de son pays
par les cohortes franquistes, a toujours le souci de mettre en exergue.
Le joueur n’est rien sans l’équipe, c’est un
principe de base.
José Arribas a 39 ans et des convictions avec lesquelles il n’a
guère envie de transiger. Aussi quand Boulogne ouvre le score dès
la 3è minute, il ne s’affole pas : il a confiance en ses
joueurs, il les sait capable de redresser la barre. Boulogne, pourtant,
marque un deuxième but à la 6è minute.
« Ils ont tiré 12
fois et marqué 10 buts » |
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Deux ou trois joueurs nantais jettent alors un regard interrogatif
vers le banc. « Eh coach, qu’est-ce qu’on fait
? ». Arribas les exhorte à continuer à jouer
de la même façon. Et quand Jean-Marie Couronne ramène
la marque à 2-1 à la 16è minute, il se surprend
à sourire. Allons, rien n’est perdu. La suite pourtant
vire au cauchemar. Alors que Nantes se découvre et part à
l’attaque, Boulogne contre. Deux buts en cinq minutes, aux
alentours de la demi-heure de jeu, creusent l’écart
de manière quasi-irrémédiable. A la pause,
Boulogne mène 4-1. Arribas décide pourtant de ne rien
changer. Non, on ne resserre pas la défense. Oui, on continue
d’attaquer. Gilbert Le Chénadec n’a pas oublié
cet invraisemblable après-midi : « Dès le début
de la seconde période, nous nous sommes installés
dans le camp adverse. Nous dominions largement. Mais à chaque
contre de Boulogne, nous étions pris de vitesse et ses attaquants
ont bénéficié d’une réussite extraordinaire.
Ils ont tiré 12 fois et marqué 10 buts ».
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« Je me demandais si
je n’allais pas me faire virer le lendemain »
Oui, 10 buts. Nantes s’incline par 10 à 2, Schindlauer ayant
tout de même réussi à trouver une faille à
la 79è minute. « De mémoire de journaliste, on n’avait
jamais vu un tel score au stade municipal de Boulogne » assure le
correspondant de « France Football ». On veut bien le croire.
Le journaliste met aussi l’accent sur « le football académique,
décomposé, lent et vraiment peu inspiré des Nantais
». Peut-être aurait-il mieux fait de tourner davantage sa
plume dans son encrier avant de se montrer aussi tranchant. Car le football
académique de Nantes, en plus rapide que cet après-midi
là, bien sûr, on en reparlera davantage que du jeu long et
efficace de Boulogne.
Pour une fois cependant, durant le voyage du retour, José Arribas
doute de son avenir. « Plus on se rapprochait de Nantes et plus
je me disais que c’était mon dernier voyage avec cette équipe,
racontera-t-il. 10-2 ! Je redoutais de ne pas survivre à un tel
score. Je me demandais si je n’allais pas me faire virer dès
le lendemain. »
Il fut conservé. Pour le bonheur de Nantes et du football.
Le cauchemar de Lepage
Pendant qu’Arribas se pose d’angoissantes questions et repense
à sa vie tranquille, dans son café, à Noyen-sur-Sarthe,
un gamin de 18 ans, installé dans un compartiment voisin, n’en
finit pas de pleurer. Il s’appelle André Lepage. C’est
lui qui gardait le but de Nantes, lui qui a ramassé 10 ballons
dans ses filets. Daniel Eon est au service militaire, en Algérie,
Marc Bachortz le gardien embauché pour le remplacer est blessé
et c’est pourquoi le petit Lepage s’est retrouvé sur
le terrain de Boulogne. Il est en partie responsable du naufrage et ses
copains ont beau faire, ils ne parviennent pas à le consoler. André
Lepage n’a jamais oublié son terrible cauchemar.
B.V.
La fiche technique
6è journée de D2, le 25 septembre 1960
A Boulogne : Boulogne bat Nantes 10-2
Buts pour Boulogne : Halberda (3’, 29’, 81’), Grabowski
(6’, 34’, 76’), Bonnet (50’, 61’, 73’,
85’).
Pour Nantes : Couronne (16’), Schindlauer (79’).
6.637 spectateurs. Arbitre : Mordest.
Boulogne : Pages – Pawelozek, Turci, Fabro –
Rudier, Raspotnik – Halberda, Ganczarczyk, Grabowski, Gaeremynck,
Bonnet.
Nantes : Lepage – Carpentier, Samson, Balloche
– Bodini, Dereuddre – Robinet, Schindlauer, M’Nick,
Couronne, Albertin.
(*) A noter que le joueur boulonnais Grabowski n’est pas celui,
un défenseur, qui vint jouer plus tard à Nantes.
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