Henri Michel est mort, c’est le terme d’une magnifique histoire, presque une légende, la chute d’un symbole, et quiconque a aimé un jour le football à la Nantaise, ou mieux l’avait découvert à travers lui, car il en avait été longtemps l’incarnation, a senti un coup lui transpercer le cœur et devine déjà que cette blessure ne se refermera pas. On n’oublie pas un tel joueur, un tel artiste, un tel homme On n’oublie pas de si belles images, un tel joueur, un tel artiste, un tel homme aussi. On ne se hasardera pas, bien sûr, à prétendre qu’il fut le meilleur footballeur de l’histoire du football français, il était lui-même bien trop honnête et lucide pour postuler à ce rang, mais ne fut-il pas le plus séduisant à voir jouer, le plus élégant et, ce n’est pas accessoire, l’un des plus fidèles, qualité qui lui permit de devenir l’emblème d’un club à l’époque où il était l’un des plus grands de France, sinon le plus grand. Henri Michel représentait Nantes, comme Kopa représenta Reims, malgré une courte fugue au Real Madrid alors que d’autres, plus illustres sans doute, voyagèrent beaucoup et connurent trop de styles de jeu différents, sans parfois s’en soucier, pour représenter vraiment un club, une idée, une philosophie. José Arribas comprit vite qu’il serait son leader, Suaudeau fut le deuxième Il était arrivé à Nantes dans les éclats de rire, lesquels jalonneraient longtemps sa vie puisqu’il aimait profiter de cette dernière, qu’il savait s’amuser et qu’il était porté par la légèreté de l’insouciance. Alors qu’ils venaient de s‘adjuger leur deuxième titre de champions de France consécutif, en 1966, les Canaris étaient allés assister à un match d’Aix-en-Provence, anonyme club de 2è Division, sous prétexte que le chef d’orchestre de l’équipe provençale était un gamin de 18 ans et demi que le FCN venait tout juste de recruter.
Les Gondet et compagnie _et Fifi qui venait d’établir un nouveau record de buts en une saison, 36, était un autre amoureux de la vie_ avaient provoqué un joli tohu-bohu en encourageant si fort Aix-en-Provence qu’Henri Michel s’en était étonné : « Qu’est-ce que vous faites là ? » « Ben, on est venu te soutenir puisque la saison prochaine tu seras l’un des nôtres ! » L’attention l’avait touché, il s’était dit qu’il s’intégrerait aisément dans une équipe où visiblement on se serrait les coudes, on ne se prenait pas au sérieux et on cultivait la bonne humeur.
Ses débuts sous ses nouvelles couleurs ne furent toutefois pas aussi faciles que prévu. D’une part en raison de quelques incartades dont un accident d’automobile, au petit matin d’un déplacement de Coupe d’Europe, en compagnie de Michel Pech, à la sortie d’un bal de village. Les sourcils broussailleux de José Arribas faillirent s’emmêler quand il apprit la nouvelle. Les relations entre le coach et celui appelé à devenir le meilleur joueur du club ne furent ainsi pas idylliques dans les premiers mois. Mais c’était surtout parce que l’inventeur du jeu à la Nantaise avait perçu les immenses dons de son nouveau joueur et qu’il souhaitait lui éviter de les gaspiller. Il avait compris, le premier, Coco Suaudeau fut le deuxième car il venait de se découvrir un concurrent, qu’Henri Michel détenait toutes les qualités pour devenir son leader et le dépositaire d’un jeu à nul autre pareil. Il dégageait une telle aisance que tout lui paraissait facile Plus tard, le joueur sourirait de ces frictions initiales, il saurait même gré à Arribas d’avoir su le sermonner, ou plutôt le protéger, et de lui avoir maintenu sa confiance, y compris parfois contre le public. Avant d’être adulé, Henri Michel fut en effet critiqué, tant sa facilité, son élégance, port de tête altier, étaient grandes. Il donnait l’impression de ne pas forcer et cette aisance naturelle contrariait d’autant plus les adeptes du mouillage de maillot qu’elle se conjuguait avec une habileté technique ciselée.
Il trompait pourtant son monde car il était capable, si besoin, de se battre comme un chien, de tacler sans rechigner et savait répondre du tac au tac aux fantassins qui cherchaient à lui chatouiller les chevilles d’un peu trop près.
En fait, il savait tout excellemment faire, y compris marquer des buts d’une frappe pure et puissante, et s’il avait commencé sa carrière au poste d’ailier et qu’il l’acheva en libero, c’est surtout à une place de milieu de terrain qu’il rayonna et c’est dans ce rôle de meneur de jeu qu’il séduisit enfin les foules et qu’il conduisit Nantes à son troisième titre de champion de France, en 1973. Il parvenait alors en fin de contrat, il avait reçu des propositions mirobolantes et Marcel-Saupin, lors des derniers matches de la saison, scanda avec ferveur ‘’Michel reste à Nantes ! Michel reste à Nantes’’. C’est ce qu’il fit et à partir de là il fut aimé sans retenue, admiré sans chichis. Son charisme débordait largement le cadre de la pelouse Il était devenu un exemple pour les jeunes qu’il s’appliquait à mettre à l’aise et s’il lui arrivait encore de s’accorder des permissions au-delà de minuit et d’entraîner quelques coéquipiers dans ses turbulentes échappées, il était le premier au footing du lendemain matin où il menait un tel train d’enfer que, derrière lui, même les plus sages crachaient leurs poumons. Il fumait aussi, hélas, c’était la mode de l’époque et de nombreux joueurs, la douche à peine prise, s’offraient une petite cigarette dans le vestiaire. Henri, lui, s’accordait plusieurs petits mecarillos, sans deviner qu’il consumait la santé de son corps d’Apollon, chiffonné sur le torse par une large cicatrice. Il en parlait rarement, car il n’était pas homme à se plaindre, mais il avait été victime, enfant, de cruelles brûlures provoquées par un réchaud à gaz. La famille passait ses vacances dans le Massif Central et ses parents l’avaient conduit en toute hâte à l’Hôpital du Puy où on leur avait annoncé qu’il risquait de ne pas passer la nuit. Ayant déjoué les diagnostics, il en avait déduit qu’il n’avait plus à craindre la mort.
Sur la pelouse, il régentait le jeu, le renversait même grâce à des transversales diaboliques, son charisme et son influence débordaient largement au-delà. Un soir, à Bastia, sur un terrain boueux et face à des adversaires remontés comme des pendules, les Canaris s’étaient montrés pâlichons en première période et, durant la pause, le président Louis Fonteneau crut judicieux d’aller leur faire part de son mécontentement. Il avait entamé un ferme discours, où il était surtout question de sueur, lorsqu’il s’aperçut que l’ensemble des joueurs observait Henri Michel affairé à délasser ses crampons. Intrigué, il se tourna vers lui : « Qu’est-ce que vous faites Henri ? ». Michel se planta devant lui et tendit ses crampons : « Tenez Président, voici mes chaussures, vous n’avez qu’à jouer la seconde période à ma place. On va voir ce que ça donne ».
Fonteneau s’éclipsa, penaud, il vint s’excuser à la fin du match et il retint la leçon : « Je n’ai suis plus jamais donné d’avis technique dans le vestiaire », disait-il. « C’était le boss », assure Bruno Baronchelli Henri Michel étincelait avec Nantes, il se montrait moins à l’aise avec l’équipe de France (il connut tout de même 58 sélections) et une partie de la presse le lui reprocha. C’était oublier que les Bleus pratiquaient un football défensif qui n’avait rien à voir avec le jeu imaginatif et chatoyant de Nantes et c’est par esprit d’équipe qu’il acceptait d’y évoluer contre nature, de se sacrifier dans un rôle qui n’était pas le sien, de se plier à des consignes qu’il n’approuvait pas et de n’en rien dire afin de pas mettre le sélectionneur en porte à faux.
En 1976, lorsque le contrat de José Arribas n’avait pas été renouvelé, l’amenant à partir à Marseille, Henri Michel, également en fin de contrat, laissa supposer qu’il pourrait l’y accompagner. Il y avait renoncé et, resté à Nantes, il avait guidé l’éclosion d’une formidable génération composée entre autres par Pécout, Baronchelli, Oscar Muller, Sahnoun plus quelques plus anciens comme Amisse, Rampillon, Bossis. Il avait conduit tout ce beau monde au titre de champion de France 1977. « C’était le boss », assure Bruno Baronchelli.
Il se montrait même suffisamment influent pour qu’on l’ait tenu pour responsable de la non venue de Michel Platini dont Europe 1, sponsor du FCN, avait obtenu l’accord de principe pour qu’il aille à Nantes. Il n’existait aucune animosité entre les deux joueurs, Michel ne proférait pas la moindre réserve concernant les talents du Lorrain, il estimait simplement que Nantes tournait rond sans lui, que les joueurs en place, formés au club, possédaient suffisamment de valeur et de mérites pour ne pas être évincés du jour au lendemain, il disait aussi que le salaire de l’arrivant, très supérieur aux autres, était de nature à rompre l’harmonie collective. Sélectionneur destitué sur magouilles On était en 1979 et ses coéquipiers donnèrent raison à Henri Mchel : un an plus tard, Nantes était de nouveau champion de France. Il s’était alors, Bargas étant parti, définitivement fixé au poste de libero, il le tint encore deux saisons et se résolut, à 35 ans à tirer un trait sur sa carrière de joueur. La Fédération lui avait proposé la succession de Michel Hidalgo, il fourbit d’abord ses armes en s’occupant des Olympiques dont il fit des médaillés d’Or aux Jeux de 1984.
Ensuite, il prit donc en mains l’équipe de France, championne d’Europe en titre. Au début tout alla pour le mieux, les Bleus se distinguèrent même au Mexique où ils éliminèrent le Brésil et terminèrent 3ès de la Coupe du monde. Mais une génération, celle de Maxime Bossis, Platini et Battiston était en partance, la relève pas tout à fait prête et il fallait de la patience pour reconstruire. Tout le monde n’en avait pas. Eric Cantona était même pressé et il apparut vite qu’il ne se situait pas sur la même d’ondes que son sélectionneur.
Ces deux-là n’étaient pas faits pour s’entendre. « Nous n’étions pas de la même génération », constata Cantona qui annonçait une sorte de race de nouveaux joueurs pour lesquels la cote personnelle importait davantage que l’intérêt collectif. Où le ‘’je’’ remplaçait volontiers le ‘’jeu’’, lequel restait en revanche primordial aux yeux d’Henri Michel. L’affaire se termina mal, par les insultes de Cantona qui portèrent d’autant plus qu’il savait se servir des médias et que le sélectionneur opta de son côté pour le silence.
La situation d’Henri Michel s’en trouva affaiblie, d’autant que les résultats, un match nul à Chypre notamment, faisaient grincer des dents. Elle le fut encore plus lorsque Claude Bez, dirigeant avide de pouvoir, décida de régenter l’équipe de France, en compagnie de Jean Claude Darmon, alias, ‘’le grand Argentier’’, surnom qui signifie bien son rôle et indique clairement quelles étaient ses priorités. Michel était un homme droit, Bez croyait que tout s’achetait, y compris les arbitres, d’ailleurs quand la justice s’intéressa à ses multiples magouilles elle l’invita à un séjour dans la case prison.
Ces deux-là n’étaient donc pas faits non plus pour s’entendre. Bez n’aimait pas qu’on lui résiste, surtout si c’était avec la probité pour arme principale, et, bénéficiant de l’appui de personnes véreuses, dont il arrondissait les fins de mois, profitant aussi de la faiblesse de Fournet-Fayard, le président de la Fédération, qu’Henri Michel surnommait ‘’Fournet-Fayot’’, il fit tomber la tête du sélectionneur, le jour de la Toussaint 1988.
Des pérégrinations sans fin Bez devint le super-intendant de l’équipe de France, ce fut son bâton de maréchal avant sa chute, Platini fut nommé sélectionneur mais les Bleus ne se qualifièrent pas pour la Coupe du monde 1990. Henri Michel, lui, remâcha son amertume, s’éloigna des pouvoirs fédéraux et du cirque médiatique et connut une réussite très relative au Paris Saint-Germain où l’avait appelé Francis Borelli. Le départ de ce dernier provoqua son éviction car Canal +, le nouvel actionnaire, voulait du neuf et du clinquant.
Un peu perdu, Henri Michel se retrouva sur le sable, s’essaya, sans flamme ni véritable intérêt, dans les assurances. C’était le football qui restait sa passion et il n’hésita pas quand le Cameroun lui proposa de devenir son sélectionneur. C’était le début d’un exil sans fin, d’une vie de voyages qui lui permirent de disputer trois nouvelles Coupe du monde avec trois pays différents, le Cameroun en 1994, le Maroc en 1998, la Côte d’Ivoire en 2006. Il ne savait pas composer, il s’y entendait en revanche pour refaire le monde, de préférence celui du ballon rond, dans des discussions qui pouvaient l’emmener plus que tard dans la nuit et quand les gorges s’asséchaient il fallait bien y remédier. Il avait aussi entraîné la Tunisie et été champion du Maroc avec le Raja Casablanca.
Il savait vivre et il était si beau Chaque Coupe du monde nous le ramenait un peu plus enveloppé, un peu plus ridé et nous comprenions que le temps filait et qu’il ne passait pas impunément sur lui.
Et puis ses escales devinrent de plus en plus incertaines, Al Arabi Doha, Zamalek, Mamelodi Sundowns et nous ne savions plus s’il fallait s’attrister de ces incessantes pérégrinations ou se réjouir qu’il trouve toujours un lieu pour assouvir sa passion.
Et puis ce fut la Guinée Equatoriale où il n’alla pas au bout de son mandat. Et puis le Kenya en 2012.
Et puis ce fut la maladie.
Il vivait au Liban, il revenait souvent à Aix-en-Provence, sa ville natale, là où il avait écoulé tant de soirées d’été, à la terrasse des cafés, à l’ombre des platanes, au son glougloutant des fontaines. La ville qu’il aimait presque autant que Nantes où il revenait trop peu souvent. La ville où le rideau est tombé sur une vie qu’il avait le plus souvent menée, en dépit de tout, de la manière qu’il avait voulu et qui en tout cas ne lui laissait pas de regrets.
Henri Michel savait vivre, jouer et il était si beau quand il orchestrait les manœuvres jaunes... Beau à regarder, à admirer, beau, aussi, à l’intérieur. « C’était un mec formidable avec qui tu pouvais aller au bout du monde, fidèle en amitié, fidèle en inimitié », a résumé Platini.
Bernard Verret
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