Il avait échappé à la mine
L’histoire pourtant aurait pu relever du roman à l’eau
de rose. Thadée Cisoswki, fils d’un exilé polonais,
aurait été irrémédiablement destiné
à l’extraction du charbon et à la silicose si le football
ne l’avait sorti du puits. Chaque dimanche après-midi il
se postait à la pointe de l’attaque de l’équipe
de Piennes, une cité de la Lorraine industrielle, et ses buts illuminaient
la vie de ses frères de travail, comme autant de rayons de soleil
qui leur faisaient brièvement oublier que le lendemain, à
l’aube, la musette et le cœur en bandoulière, il leur
faudrait descendre se noircir le corps au fond de la mine ou aller se
rougir la peau au feu rougeoyant des hauts-fourneaux.
Ciso, comme on l’appelait déjà, alla jusqu’à
expédier vingt ballons dans les filets au cours d’un seul
match. Sa formidable adresse finit par attirer l’attention des recruteurs
du FC Metz et c’est sur la pelouse de Saint-Symphorien qu’à
partir de 1947, il continua à se prendre pour une mitraillette.
Son allure était frêle mais il ne redoutait aucun choc, aucun
adversaire et plus il encaissait de coups, plus courageusement il repartait
à l’assaut. Il paya cher, près de quarante fractures
dont trois des jambes, cette indomptable témérité
qui le poussait à se montrer sans cesse plus intrépide,
plus brave.
Trois fois meilleur buteur
Brave, il l’était dans tous les sens du terme et en cette
époque où aucun imprésario ne se présentait
pour défendre les intérêts des joueurs, les dirigeants
usèrent et abusèrent de lui. Les supporters aussi, parfois.
Les premiers ne le payèrent jamais au juste prix de sa redoutable
efficacité. Les seconds comprirent vite qu’il avait l’âme
généreuse et qu’il ne savait pas dire non quand on
lui demandait un service, un peu d’argent ou une tournée
à remettre au coin d’un bar.
Vendu au Racing Club de Paris, en 1952, il devint la coqueluche de l’ancien
Parc des Princes. Il forma avec le fantasque Joseph Ujlacki un tandem
à l’extraordinaire complémentarité. Ujlacki
préparait les coups, Cisowski les concluait. Il remporta trois
fois la couronne de meilleur buteur du championnat en 1956, 1957 et 1959.
A chaque fois avec plus de 30 buts. Le 11 novembre 1956, dans un match
éliminatoire de Coupe du monde, il marqua 5 fois contre la Belgique.
Il ne fut pourtant sélectionné qu’à 13 reprises
en équipe de France, victime de ses blessures et aussi des talents
d’un autre avant-centre hors-normes, Justo Fontaine.
|
A Nantes, Cisowski habitait une petite maison disposant d'un
jardin qu'il se plaisait à entretenir. Imagine-t-on une star
actuelle du ballon cultivant ses salades ? |
A Nantes en octobre 1961
Mais ses jambes, martelées par les coups, finirent par demander
grâce. Le Racing ne fit pas de sentiments, il le brada à
Valenciennes. Là, comme il était en panne d’efficacité,
Ciso fut mis au tarif minimum. 35.000 anciens francs par mois. Il se rebella
dans les colonnes d’un magazine. « C’est l’enfer,
je veux partir ! »
Jean Clerfeuille, alors président du FC Nantes, tomba sur l’article.
Il cherchait un avant-centre pour tenter de monter en D1, il le fit venir
sur les bords de la Loire, en octobre 1961. Il le paya honnêtement
et Cisowski recommença à marquer quelques buts. Un ressort
pourtant s’était cassé au plus profond de lui-même
et ses jambes, sa vitesse et son coup de reins s’étaient
émoussés. Son organisme fatigué demandait grâce,
un peu plus à chaque match
Huit mois après son arrivée à Nantes, lequel n’était
pas monté, l’évidence le rattrapa : il lui fallait
abandonner le professionnalisme. On était en juin 1962, il avait
35 ans. Il alla d’abord à Cholet, où on lui offrit
un bar, ce qui n’était pas forcément la meilleure
idée, et puis, doucement mais hélas sûrement, il glissa
sur la pente de la désespérance. Les journalistes suivirent
un temps sa trace, elle les emmena jusqu’à une maison de
repos en Bourgogne. Il se refit une petite santé en devenant moniteur
de gym à Mâcon. On l’oublia progressivement et comme
il ne demandait rien, bien qu’il eut beaucoup donné pendant
l’été de sa vie, il entra pratiquement seul dans l’hiver
d’une existence qui, s’il avait été footballeur
quarante ans plus tard, eut sans doute été riche, radieuse
et luxueuse. La nouvelle de sa mort, la semaine dernière, à
78 ans, a surpris jusqu’à ses anciens compagnons de stade.
Beaucoup pensaient qu’il était déjà parti,
sans rien dire. D’ailleurs, samedi soir, le speaker de la Beaujoire
n’a même pas eu un mot, pas un seul, pour honorer sa mémoire.
(B.V.)
Sa fiche (source L'Equipe)
Né le 16 février 1927 à Laskiv (Pologne).
1,75 m, 73 kg.
Clubs : FC Metz (1947-52), RC Paris (1952-60), US Valenciennes (1960-61),
FC Nantes (1961-62).
Palmarès
Trois fois meilleur buteur du Championnat de France avec le Racing, en
1956 (31 buts), 1957 (33 buts) et 1959 (30 buts),
deuxième en 1960 (27 buts).
Meilleur buteur de D2 avec Metz en 1951 (23 buts).
13 sélections, 11 buts de 1951 à 1958.
Carrière internationale
1 |
FC Metz |
01/11/1951 |
Colombes |
France et Autriche |
2 - 2 |
|
|
2 |
RC Paris |
05/10/1952 |
Prater |
France bat RF Allemagne |
3 - 1 |
1 but |
|
3 |
RC Paris |
19/10/1952 |
Colombes |
France bat Autriche |
2 - 1 |
|
|
4 |
RC Paris |
11/11/1952 |
Colombes |
France bat Irlande du Nord |
3 - 1 |
|
|
5 |
RC Paris |
11/04/1954 |
Colombes |
Italie bat France |
3 - 1 |
|
|
6 |
RC Paris |
07/10/1956 |
Colombes |
Hongrie bat France |
2 - 1 |
1 but |
|
7 |
RC Paris |
21/10/1956 |
Colombes |
France bat URSS |
2 - 1 |
|
|
8 |
RC Paris |
11/11/1956 |
Colombes |
France bat Belgique |
6 - 3 |
5 buts |
ECM |
9 |
RC Paris |
24/03/1957 |
Lisbonne |
France bat Portugal |
1 - 0 |
|
|
10 |
RC Paris |
01/09/1957 |
Reykjavik |
France bat Islande |
5 - 1 |
2 buts |
ECM |
11 |
RC Paris |
01/10/1958 |
Parc |
France bat Grèce |
7 - 1 |
2 buts |
ECEN |
12 |
RC Paris |
05/10/1958 |
Prater |
France bat Autriche |
2 - 1 |
|
|
13 |
RC Paris |
26/10/1958 |
Colombes |
France et RF Allemagne |
2 - 2 |
|
|
Ses matches, ses buts
1947-48 |
FC Metz |
1ère division |
4 |
3 |
1948-49 |
FC Metz |
1ère division |
33 |
15 |
1949-50 |
FC Metz |
1ère division |
32 |
17 |
1950-51 |
FC Metz |
2ème division |
30 |
23 |
1951-52 |
FC Metz |
1ère division |
17 |
11 |
1952-53 |
RC Paris |
1ère division |
30 |
13 |
1953-54 |
RC Paris |
2ème division |
34 |
34 |
1954-55 |
RC Paris |
1ère division |
14 |
9 |
1955-56 |
RC Paris |
1ère division |
29 |
31 |
1956-57 |
RC Paris |
1ère division |
28 |
33 |
1957-58 |
RC Paris |
1ère division |
14 |
9 |
1958-59 |
RC Paris |
1ère division |
29 |
30 |
1959-60 |
RC Paris |
1ère division |
28 |
27 |
1960-61 |
Valenciennes |
1ère division |
28 |
9 |
1961-62 |
FC Nantes |
2ème division |
19 |
8 |
|