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La fronde des joueurs qui vient de
se produire au FC Nantes rappelle des souvenirs qui remontent à
un peu plus de quarante ans. A l’époque, pour le bien du
club, les joueurs avaient déjà exercé une pression
sur leurs dirigeants, incultes en matière de football, afin de
les amener à enclencher la marche arrière. Les causes étaient
différentes, ils ne souhaitaient pas obtenir la tête de leur
entraîneur, ils voulaient au contraire la défendre mais le
mouvement avait déjà été spectaculaire. C’était
durant la saison 1962-63, le FC Nantes jouait encore en D2 et José
Arribas s’appliquait à mettre en place et à peaufiner
le style de jeu et les principes de base qui allaient assurer la prospérité
et la gloire du club. En début de championnat, quelques ratés
se produisirent, notamment une sévère défaite à
domicile face à Saint-Etienne. 4-0 !
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Les dirigeants décrétèrent une réunion d’urgence
pour le lundi soir. Le président était alors Jean Clerfeuille
et bien qu’il n’y soit pas lui-même franchement favorable
il envisageait de se séparer de José Arribas. « Il
pense trop à faire du beau jeu et à soigner le collectif,
ce qu’il faut c’est défendre, courir, mettre des coups
; enfin, quoi, il n’y a que le résultat qui compte !
» prétendaient bon nombre de membres du comité directeur.
Antoine Raab, ancien entraîneur et directeur sportif abondait dans
leur sens : pour lui le football était d’abord une affaire
d’engagement physique. Le sort d’Arribas paraissait donc scellé.
Aussi bêtement que le fut celui de Raynald en décembre 2001.
Mais au sein des joueurs il existait des leaders qui avaient compris
le message que voulait faire passer leur entraîneur. Ils avaient
perçu le bien fondé de ses conceptions et ils avaient pris
conscience des forces et des vertus du football à la nantaise qui
était en train de naître. Trois d’entre eux, les trois
plus représentatifs, Jean Guillot, André Strappe et Pancho
Gonzalès décidèrent de s’inviter, sans prévenir,
à la réunion du comité directeur. Leur arrivée
fit quelque bruit, leur discours encore plus. Jean Guillot racontait :
« On sait que vous voulez la peau de José Arribas. Eh bien
nous ne sommes pas d’accord et nous voulons continuer avec lui.
Si vous le virez, nous partirons nous aussi. Tous les trois ! Vous pouvez
déjà nous inscrire sur la liste des transferts ! »
Les dirigeants hésitèrent. Et puis, sagement, une majorité
se dégagea en faveur d’Arribas. Il fut conservé. Guillot,
Strappe et Gonzalès restèrent et à la fin de cette
saison 1962-63, le FC Nantes accéda à la D1.
Sans cette intervention décisive des joueurs, il n’y aurait
probablement jamais eu de grand Nantes. Il serait même peut-être
encore en 2è division, là où menacent de l’expédier
les méthodes Gripond et le style de jeu actuel.
Nantes a souvent eu des joueurs à forte personnalité, ce
fut sa chance car au fond, ce ne sont pas les moutons qui font avancer
le monde. Paul Courtin fut l’un d’eux. A la fin des années
1960, Jean Clerfeuille qui était toujours président se lança
un jour dans un long discours pour expliquer la difficulté de sa
tâche, notamment pour les transferts. Courtin le coupa sèchement
: « Oh écoutez, puisque c’est si difficile, vous
n’avez qu’à nous laisser votre place ! On va tous s’entendre
et on va se passer de président. Vous n’êtes pas indispensable.
On nommera un comptable pour tenir les comptes et tout se passera bien,
vous verrez ». Clerfeuille ne voulut pas voir : il préféra
écourter la conversation et garder son poste. Qu’il exerçait
à l’époque à titre bénévole (mais
en bénéficiant des honneurs et des avantages accordés
généralement à la fonction).
On pourrait rappeler dans d’autres clubs l’expérience
de joueurs qui provoquèrent le départ soit de leurs dirigeants,
soit de leur entraîneur. A Rouen, ce sont les dirigeants qui partirent
alors que le club était scotché à la dernière
place de D1.Ce fut salutaire : sans eux, les joueurs sauvèrent
le club : ils terminèrent en milieu de tableau, ils accédèrent
même à la demi-finale de la Coupe de l’UEFA où
Arsenal les élimina très difficilement. Une autre saison,
c’est à Limoges que les joueurs firent la révolution
: sous l’impulsion de leur capitaine Francis Smerecki, ils obtinrent,
durant la trêve hivernale, le départ de leur entraîneur,
l’ancien international Henri Skiba. « Soit il part, soit on
ne s’entraîne plus ». Et durant la seconde partie de
la saison, ils assurèrent le maintien de leur club en D2.
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