Un déplacement
à Auxerre constitue rarement une partie de plaisir, surtout
pour une équipe comme Nantes qui, pour s’imposer, fait
davantage confiance à la technique, la finesse et la fluidité
de son jeu qu’au défi athlétique et à
la percussion dans les duels. On parle évidemment du Nantes
traditionnel, pas de celui de cette saison.
Auxerre est une équipe à l’image de son entraîneur
: roublarde, obstinée, ne laissant aucun répit à
son adversaire et prompte à bondir sur la moindre opportunité
pour dévorer les marrons qu’elle laisse les autres
tirer du feu, en espérant qu’ils vont se brûler.
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Nantes talonne Bordeaux.
Au début des années 1980, alors que l’AJA était
encore une jeune pensionnaire de la D1 qu’elle avait découverte
quatre ans plus tôt, c’était encore plus vrai
qu’aujourd’hui. Les Bourguignons étaient des
adeptes d’un marquage individuel serré, qu’ils
exerçaient sur tous les joueurs et sur chaque mètre
carré de terrain. Nantes, lui, jouait à la nantaise,
Jean-Claude Suaudeau aurait difficilement toléré qu’il
en aille différemment. Champion de France rayonnant en 1983,
il avait terminé 6è la saison suivante et en février
1985 il espérait encore reconquérir son titre, en
tout cas il menait ardemment la chasse derrière Bordeaux
qui le précédait de trois longueurs. |
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Nantes rarement à l’aise à l'Abbé-Deschamps
Autant dire que le voyage à Auxerre avait été
préparé avec soin, le coach nantais sachant mieux
que personne que son équipe n’était jamais très
à l’aise face aux trublions bourguignons. Depuis 1979
et la finale de la Coupe de France laborieusement gagnée
par les Canaris, la rivalité entre les deux clubs s’accroissait
à chacun de leur affrontement, elle avait même rebondi
quand les Auxerrois étaient venus l’emporter à
Marcel-Saupin, 1-0, but de Patrick Rémy qui avait mis fin
à quatre ans d’invincibilité des Nantais à
domicile.
De plus, les animosités s’étaient développées
entre quelques joueurs, Basile Boli, encore jeune mais déjà
musclé, était ainsi passé expert dans l’art
de museler Halilhodzic. Il avait compris que plus il recourait aux
moyens illicites plus il augmentait ses chances de le voir s’énerver
et multiplier les maladresses. Boli ira un jour jusqu’à
prétendre qu’au cours d’un duel aérien
avec Halihodzic c’est lui qui avait marqué de la tête
contre son camp. Cela afin que le compteur but de l’attaquant
nantais soit amputé d’une unité.
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La main de Roger Boli
C’est dire si, malgré le froid glacial ambiant, la
température était chaude ce soir-là, à
l’Abbé-Deschamps et Guy Roux n’hésitait
pas à la faire monter de quelques crans. On le vit par exemple
pénétrer sur le terrain pour protester contre une
décision de l’arbitre, M. Biguet, et exhorter le public
à clamer lui aussi sa véhémence. Suaudeau n’avait
pas caché son irritation en constatant une telle attitude,
comme s’il devinait que l’arbitre allait finir par se
laisser influencer ou par craquer. Il n’en reste pas moins
que les forces en présence se neutralisaient. Nantes ne parvenait
pas à développer son football et les contres auxerrois
n’inquiétaient pas vraiment Bertrand-Demanes. |
On s’acheminait donc vers un bon vieux 0-0, un peu décevant
mais finalement pas très illogique, lorsque se produisit
le coup de théâtre qui décida du sort de la
rencontre. Il restait quatre minutes à jouer et Nantes concéda
un corner. Presque tous les Canaris se replièrent afin d’éviter
un désagrément de dernière seconde et c’est
donc dans un véritable paquet de joueurs que Perdrieau expédia
le ballon. Bertrand-Demanes semblait devoir s’en emparer assez
aisément, mais il le relâcha, et il se produisit une
mêlée au cours de laquelle Roger Boli l’expédia
prestement au fond des filets. De la main !
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« Sa tête n’est jamais loin
de sa main »
L’ennui est que le pauvre Biguet, soit parce qu’il était
aveugle, soit parce qu’il commençait à avoir peur,
valida le but. Les Canaris protestèrent. En vain. Evidemment, on
n’entendait plus Guy Roux.
Nantes perdit ainsi 1-0 et comme dans le même temps Bordeaux était
allé gagner à Marseille, 1-0, les Girondins portèrent
leur avance à cinq points. Le handicap était presque irrémédiable.
C’est dire si dans le vestiaire nantais, les mines étaient
renfrognées et la colère de Suaudeau de moins en moins rentrée.
D’autant que Roger Boli avait fini par admettre l’évidence
: “Oui, j’ai marqué de la main”, reconnaissait-il.
Le coach auxerrois, lui, se complut longtemps à nier la tricherie
et à essayer de sauver les apparences : “Vous savez, Roger
a une façon de courir, de se déplacer et de faire des têtes
qui font que sa tête n’est jamais loin de sa main”.
C’était d’une savoureuse mauvaise foi. Guy Roux ajoutait,
cherchant à faire dévier les responsabilités : “Mais
je voudrais surtout condamner l’attitude de Bertrand-Demanes. A
la fin du match, il voulait me casser la figure, eh bien il ferait mieux
de changer la marque de ses gants. S’il veut, je peux lui donner
une bonne adresse.”
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La colère de Suaudeau
Plus il en entendait et moins Suaudeau était à prendre
avec des pincettes. “Nous nous sommes déjà fait
voler il y a quinze jours à Bastia, où nous avions
également perdu 1-0, cela commence à faire beaucoup.
A faire trop en fait...” Un journaliste auxerrois voulut jouer
les naïfs et il lui présenta benoîtement l’interrogation
suivante : “Que pensez-vous de l’arbitre ?” Le
coach nantais le fusilla de son regard noir : “Monsieur, je
crois que vous vous trompez de vestiaire. Ce genre de questions,
allez les poser en face. Vous verrez : on vous dira beaucoup de
bien des arbitres qui officient ici...” Le ton suaudien montait
et quand un autre journaliste poussa la porte du vestiaire, Coco
le toisa du plus haut qu’il put et il asséna, le ton
cassant, une remarque qui laissa l’autre pantois : “Monsieur,
vous pourriez être poli : moi, quand j’entre dans une
pièce, j’ôte mon chapeau”. C’était
assez risible mais on vous prie de croire que personne ne moufta,
tout le monde ayant compris que ce n’était surtout
pas le moment.
M. Biguet, pour sa part, resta invisible. Sans doute ne se sentait-il
pas très fier de lui. A la fin de la saison, Nantes termina
2è du championnat, trois points derrière Bordeaux.
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N’Doram, Da Rocha...
Depuis, les Canaris ont eu d’autres occasions d’apprécier
le “fair play” bourguignon, on pense entre autres à
une demi-finale de Coupe de France (1994) où ils se virent refuser
un but égalisateur en toute fin de match pour un hors-jeu contestable
(N’Doram se faisant en outre expulser) et au fameux but marqué
il y a trois ans par Gonzalès, alors que les Canaris venaient d’expédier
le ballon en touche parce que Da Rocha était blessé. “Nous
ne nous en étions pas rendus compte,” prétendit Guy
Roux, alors qu’il avait eu le visage ensanglanté de Da Roche
sous les yeux...
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B.V. (photos de l'excellent site Histoire
de l'AJ Auxerre)
La fiche technique
26è journée de championnat, le 23 février 1985
A Auxerre : Auxerre bat Nantes 1-0.
But de Roger Boli (86?).
12.000 spectateurs. Arbitre : Biguet.
Auxerre : Bats - Charles, Basile Boli, Janas, Barret
- Fiard, Géraldès, Perdriau - Danio, Garande, Szarmach (puis
Roger Boli, 9è).
Nantes : Bertrand-Demanes - Bibard, Derzakarian, Bossis,
Ayache - Poullain, Baronchelli, Touré - Morice, Halilhodzic, Amisse.
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