Le FC Nantes a remporté 8 titres de champion de
France. Il aurait pu en conquérir d’autres. Celui de 1978
par exemple. Cette saison-là, les Canaris payèrent au prix
fort les conséquences d’un mauvais départ et surtout
d’un surprenant faux-pas commis lors de l’avant-dernière
journée à Rouen.
Leur principal adversaire était Monaco. Les joueurs de la Principauté,
qui revenaient tout juste de 2è division, effectuèrent donc
un départ en trombe et ils creusèrent l’écart.
En novembre, ils comptaient 5 points d’avance. Ils n’en possédaient
plus qu’un quand ils débarquèrent à Marcel-Saupin,
le 15 février 1978.
Match remis
Débarquer est d’ailleurs le verbe qui convient puisque des
pluies diluviennes s’abattaient alors sur la région nantaise
depuis plusieurs jours, elles redoublèrent durant l’après-midi
précédant le coup d’envoi si bien que l’arbitre
dut se rendre à l’évidence : il déclara le
terrain impraticable. Au grand dam des 22.000 spectateurs et de Jean-Marc
Desrousseaux qui, fait exceptionnel, avait été appelé
pour garder la cage nantaise car Jean-Paul Bertrand-Demanes était
blessé.
Le championnat reprit et les deux équipes se retrouvèrent
un mois plus tard. Les données avaient quelque peu changé
: Nantes comptait un autre match de retard, et s’était aussi
incliné à Bordeaux. L’écart était ainsi
remonté à 4 longueurs. Mais les Canaris le réduisirent
de moitié, grâce à un but de Baronchelli, et à
partir de là ils se mirent à enfiler les victoires comme
autant de jolies perles sur un collier.
Faux-pas à Rouen
Si bien qu’à l’issue de la 36è journée,
Nantes se projeta enfin en tête, à la différence de
buts. Seulement, catastrophe : lors du match suivant, les Canaris furent
tenu en échec à Rouen, la lanterne rouge (0-0). Monaco ne
rata pas l’aubaine : il battit Metz et au matin de la dernière
journée, il comptait de nouveau un point d’avance. Il lui
restait à recevoir Bastia tandis que le FC Nantes accueillait l'OGC
Nice.
Pour cet ultime rendez-vous, Marcel-Saupin avait pratiquement fait le
plein, 21.000 spectateurs s’étant déplacés
avec le fol espoir d’assister à un sensationnel renversement
de situation.
Les Canaris volaient littéralement
Nantes était alors entraîné par Jean Vincent, il avait
remporté le titre la saison précédente et il pratiquait
un football de qualité, tourné vers l’offensive. De
temps à autres, si le besoin s’en faisait sentir, c'est-à-dire
si les préceptes du jeu à la nantaise inculqués par
José Arribas venaient à être oubliés, Jean-Claude
Suaudeau était d’ailleurs appelé à la rescousse,
tel le mécano invité à procéder aux indispensables
réglages. Mais ce soir-là, il n’y avait pas besoin
de retouches, les Canaris volaient littéralement, ils semblaient
touchés par la grâce et Nice était submergé.
Les Aiglons alignaient pourtant une belle équipe avec notamment
Guillou, Katalinski, Baratelli, Jouve, Zambelli mais ils ne parvenaient
pas à colmater toutes les brèches qui s’ouvraient
dans leur défense. A la pause, ils n’étaient toutefois
menés que 1-0. Ils égalisèrent même juste après
la reprise par Katalinski. Mais ensuite, ce fut l’avalanche. Gilles
Rampillon redonna l’avantage aux Canaris dès le 50è
minute et il donna ainsi le signal d’un véritable récital.
Une immense clameur
Il faut dire que le stade avait été parcouru par une immense
clameur, venant de la part de spectateurs à l’écoute
de leurs transistors. Tout le monde avait certes appris que Monaco menait
1-0 à la pause. Mais juste après le but de Rampillon, le
stade avait d’abord été plongé dans le silence
puis secoué par une véritable explosion de joie. Le sang
de Jean Vincent n’avait fait qu’un tour. « Bastia vient
d’égaliser à Monaco » avait-il pensé
et il avait jailli de son banc de touche pour indiquer la bonne nouvelle
à ses joueurs. Les Nantais jouaient bien, on l’a dit, ils
étaient alors devenus carrément sublimes. Et les ballons
s’étaient entassés dans les filets niçois.
Un, puis deux, puis trois. Enfin, à la 82è minute, Maxime
Bossis était parti de sa surface de réparation, il avait
traversé tout le terrain, dribblant trois joueurs en chemin, et
il avait décoché un boulet de canon qui était allé
se ficher juste sous la barre. 6-1 !
Pas de miracle
Tandis qu’Henri Michel et ses copains s’embrassaient, Jean
Vincent n’avait hélas plus le cœur à rire. Il
avait appris la vérité. Au début de la seconde période,
il s’était trompé : ce n’était pas Bastia
qui avait égalisé, c’était le Monégasque
Delio Onnis qui avait raté un pénalty. Et il avait ensuite
su que Monaco menait 2-1. Bien sûr, il espérait encore :
Ah si les Corses marquaient un autre but. Mais le miracle ne se produisit
pas, Monaco préserva son avantage. Et donc son point d’avance.
Il était champion de France !
L’ambiance dans le vestiaire était pesante. Rarement une
équipe venant de gagner 6-1 s’était montrée
aussi triste. Henri Michel, Michel Bibard, Hugo Bargas, Gilles Rampillon,
tous ressassaient les regrets, devinant trop bien qu’ils seraient
éternels. Mais ce n’était rien par rapport à
ce qui les attendait le lendemain matin.
Tous pleuraient comme des gamins
Jean Vincent raconte : « j’avais convoqué les joueurs
pour qu’on visionne le film de la rencontre face à Nice.
Nous le faisions après chaque rencontre et j’avais pensé
que c’était une bonne occasion de se retrouver une dernière
fois, avant le départ en vacances. Au début, c’était
décontract’, les gars parlaient entre eux, ils plaisantaient
presque. Mais au fur et à mesure que les images défilaient,
le silence s’est installé dans la salle. Ils se revoyaient
sur l’écran, balayant les Niçois comme des fétus
de paille, rayonnant de bonheur à chaque but marqué. J’étais
au premier rang et quand le film s’est achevé, constatant
qu’il n’y avait toujours pas un bruit, je me suis retourné.
La lumière venait de se rallumer et là j’ai vu un
spectacle incroyable, je ne l’oublierai jamais, tous les joueurs
pleuraient. Oui, tous. Et croyez-moi, voir des gaillards comme Bossis,
Rio, Michel et Bertrand-Demanes chialer comme des gamins, ça vous
prend à la gorge. » Jean Vincent, qui a récemment
effectué son retour dans les tribunes de la Beaujoire, ne le dit
pas, mais on sent bien, près de trente ans après, qu’il
avait eu du mal lui aussi à maîtrise son émotion et
son désappointement.
B.V.
La fiche technique
Mercredi 3 mai 1978, 38è et dernière journée du championnat
A Nantes : Nantes bat Nice 6-1.
Buts pour Nantes : Rio (16’), Rampillon (50’), Bibard (61’),
Pécout (77’), Michel (80’), Bossis (82’). Pour
Nice : Katalinski (48’).
20.000 spectateurs. Arbitre : Buils.
Nantes : Bertrand-Demanes – Bibard, Rio, Bargas,
Bossis – Michel, Van Straelen, Sahnoun – Mérigot, Pécout,
Rampillon.
Nice : Baratelli – Pigal (puis Nicoud, 46’),
Zambelli, Katalinski, Barraja – Cappadona, Guillou, Ascery (puis
Morabito, 72’), Jouve – Sanchez, Massa.
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