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Oscar Muller : le foot c'était sa vie
(Petites et Grandes Histoires du FCN #19)
 
José Arribas Oscar Muller model 76-77
 
Oscar Muller est mort le 19 août, à L'Entre-Deux, le village de l'Ile de la Réunion où il vivait depuis près de 15 ans. Quelques jours plus tôt , en traversant une rue, il avait été renversé par une moto. Touché à la tête, il avait plongé dans un coma dont il n'est pas ressorti. A Nice et contre Metz les joueurs nantais ont porté un brassard noir en signe de deuil. Une minute de silence a été demandée en sa mémoire, avant le coup d'envoi du match contre les Lorrains. Dans un stade silencieux, sous la chaleur d'une soirée d'été finissante, un grand froid s'est alors insinué dans les cœurs. Aucun cri, aucun bruit, que de la peine et de l'émotion. Le speaker a rappelé qu'Oscar Muller a été champion de France en 1977. Il aurait pu ajouter les titres de 1980 et de 1983 et la Coupe de France 1979, c'eut été mieux… (B.V.)
 


C'était un jeune homme rieur, regard de braise et voix douce, un peu espiègle, un peu timide, qui faisait rarement d'éclat, excepté sur les pelouses, là où il savait le mieux s'exprimer, un ballon entre les pieds. En son temps de joueur, Oscar Muller se caractérisait autant par son grand talent que par son extrême gentillesse. Il était d'une disponibilité et d'une spontanéité si rares qu'on a du mal à les imaginer aujourd'hui, alors que toutes les relations des acteurs du foot avec l'extérieur sont policées et régulées par des entourages plus ou moins intéressés. Oscar ne parlait pas forcément beaucoup, surtout quand on ne lui demandait rien, mais dès lors qu'on savait l'écouter il avait vite fait de vous délivrer quelques évidences bien senties sur le jeu et les hommes. Même si, c'est vrai, « il ne voyait le mal nulle part », comme dit son frère cadet, Francesco, qui vit depuis près de trente ans à Perros-Guirrec où il tient un « Intermarché . »

« Il tenait beaucoup de Ramon, » fit Francesco

Le football était toute sa vie, comme il avait été celle de Ramon, son père, artiste argentin à l'adresse insolente et à l'inspiration lumineuse, sorte de Maradona avant l'heure qui savait donner autant dans la prouesse technique que dans la facétie. Il s'y entendait pour mystifier son garde du corps et même, parfois, le ridiculiser. Un jour, au cours d'un match amical, ayant amorti le ballon de la poitrine, il l'avait prestement enveloppé dans son maillot et était allé le déposer au fond des filets. « But ! » s'était-il exclamé en levant les bras, tandis qu'autour de lui tout le monde s'étranglait, les uns de rire, les autres d'indignation. « C'est interdit par le règlement » s'était offusqué l'arbitre. « Comment ça ? Je n'ai pas touché le ballon de la main, simplement de la poitrine et c'est autorisé. Faites-moi voir ce règlement ! » Ramon était un puriste pour qui la beauté du geste prenait volontiers l'efficacité et qui pour rien au monde n'aurait sacrifié le goût de l'esthétisme au profit d'un résultat dont il n'y eut pas eu matière à se glorifier. « Oscar tenait beaucoup de lui, » soupire Francesco.

Ecole buissonnière

C'est en suivant ce père surdoué qu'Oscar avait compris que toute son existence, tous ses plaisirs allaient tourner autour du ballon et de ses rebonds que Ramon savait si bien maîtriser. Avec Francesco, ils faisaient volontiers l'école buissonnière pour se rendre au Parc de Procé, où ils se dissimulaient tant bien que mal afin de ne rien rater de l'entraînement des pros. « Nous les connaissions et nous les admirions tous, confiait Oscar. Mais à nos yeux, le plus fort c'était notre père, bien sûr. Avec le ballon, il réalisait des tours de passe-passe invraisemblables. C'était un prestidigitateur. Nous l'observions avec attention et ensuite, tous les deux, nous nous exercions à l'imiter. Quand papa nous surprenait, il faisait mine d'être étonné mais je crois qu'au fond il n'a jamais été dupe et qu'il a toujours su que nous étions là, dans l'ombre, à l'épier. De toutes façons, notre carnet de notes parlait pour nous. »

« Qu'est-ce que nous nous amusions bien ! »

Lorsqu'il quitta Nantes qu'il avait profondément marqué de son empreinte, à tel point que le magazine « Légendes du Football », dans un numéro paru en 2001, le classa 6è Canari du siècle, Ramon Muller alla à Strasbourg puis à Boulogne et Saint-Brieuc. C'est dans les équipes de jeunes de ce club que le duo des frères Muller commença à faire parler de lui. Oscar tirait les ficelles du jeu, Francesco fonçait sur son aile, les défenseurs adverses n'avaient qu'à bien se tenir.

Francesco se souvient avec émotion de ces années-là, celles de tous leurs rêves d'adolescents. « C'est notre père qui nous avait amenés à Nantes, club pour lequel il avait conservé un faible. Oscar était l'aîné, d'un an, il avait fait le voyage en 1974. Je l'avais suivi en 1975. Tous deux nous avions été accueillis par Guelzo Zaetta. Et puis par Jean-Claude Suaudeau, fidèle ami de notre père. Pendant deux saisons nous avons fait équipe, soit en junior, soit en 3è division. Mon meilleur souvenir, c'est notre victoire en Gambardella. J'étais ailier, Oscar évoluait en 8, il distribuait des ballons en or. Qu'est-ce que nous nous amusions bien ! A présent, avec le recul, je me dis que c'est passé trop vite. Nous ne nous rendions pas compte de notre bonheur. Surtout, nous ne percevions pas qu'il n'allait pas durer éternellement. Ce qui m'avait frappé, c'était l'attention que les gens nous portaient. A Saint-Brieuc, personne ne nous connaissait, à Nantes, nous étions entourés, choyés, sollicités.

A moins de 18 ans contre le Paris SG

Sa technique de velours, son art de dribbleur au centre de gravité relativement bas, son sens du jeu, rapprochent peu à peu Oscar de l'équipe première, drivée par José Arribas. Un dimanche matin, Michel Pech téléphone : il doit se rendre au chevet d'un parent malade. L'après-midi, Oscar le remplace. Il n'a pas encore 18 ans. Nantes joue face au Paris Saint-Germain. Posté dans les tribunes de Marcel-Saupin, Ramon retient difficilement une larme. « J'étais terriblement contracté, reconnaissait Oscar et je n'ai pas pu donner vraiment ma pleine mesure. J'ai été moyen sans plus et mon père, qui a toujours été très critique envers moi, n'avait pas manqué de souligner mes erreurs. J'ai toujours tenu compte de ses conseils, ils étaient à la fois avisés et sans concessions. »

Oscar n'a posé qu'un pied en Division 1. Après cette première apparition, il connaît en effet une période difficile, parsemée de plusieurs ennuis musculaires et ce n'est qu'au cours de la saison 1976-77 qu'il devient franchement titulaire. Rampillon blessé, Nantes termine la saison avec un trio Sahnoun, Muller, Michel qui domine la plupart de ses rivaux et permet aux Canaris de foncer vers un quatrième titre de champion de France.

Altruiste dans le vie comme sur le terrain

« C'était un régal de jouer dans cette équipe, racontait Oscar, quelque soit le poste qu'on occupait on touchait un grand nombre de ballons. On jouait bien, on prenait du plaisir, lequel rejaillissait sur les spectateurs qui nous suivaient ».

La concurrence est vive dans l'entre jeu nantais où Rampillon, Sahnoun, Tusseau, Enzo Trossero et bien sûr Henri Michel, avant qu'il ne prenne la place de Bargas en libéro, sont autant de titulaires en puissance. Mais les rivalités restent saines et Oscar, qui ne se complique pas l'existence et que l'on surnomme « Chucho », est copain avec tout le monde, toujours prêt à rendre service, aussi altruiste dans la vie que sur le terrain où il joue en numéro 8, son poste préféré, ou même en 6. Il ne possède certes pas le génie de son père mais il est adroit et malin, vif et appliqué, capable de ratisser un grand nombre de ballons et de les rendre propres.

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Monsieur et madame Muller avec Francesco, Oscar et Edith Francesco et Oscar Oscar Muller Oscar Muller

Il venge son père

Chemin faisant, Oscar a perdu son frère car Francesco qui n'est pas parvenu à percer est parti à Perros-Guirrec où on lui a proposé une bonne situation, il a en revanche récupéré un guide : Henri Michel l'a pris sous sa coupe et il l'abreuve de conseils judicieux avant l'un des matches qui ont le plus compté dans sa carrière : la finale de la Coupe de France 1979.

Oscar veut absolument gagner. Pour lui, pour l'équipe, mais davantage encore pour son père qui, treize ans plus tôt, a disputé lui aussi une finale et l'a perdue face à Strasbourg. Pire : Ramon s'est toujours considéré comme l'un des principaux responsables de cette défaite car, blessé, il a dû quitter le terrain et Nantes a disputé toute la seconde période à 10. Pire encore : de mauvaises rumeurs ont circulé, insinuant, parce qu'il a ensuite été transféré à Strasbourg, que sa blessure était feinte. « Ce qui était totalement faux, je n'avais même jamais vu un claquage aussi profond, » soutient encore aujourd'hui le masseur de l'époque, Auguste Bretaudeau, retraité à La Baule.

Ramon a été affecté par cette histoire, il en a souvent parlé avec Oscar et ce dernier s'est mis en tête de le venger. « Pour cette finale face à Auxerre, il avait acheté des places pour toute la famille, se souvient Francesco. Il a eu le bonheur de marquer le troisième but, celui du KO, et après le match il était fou de joie. Pendant le tour d'honneur, il est parvenu à se faufiler jusqu'à nous et à travers les grilles, s'adressant à mon père, il a crié : « Je l'ai gagnée moi, je l'ai gagnée ! » Nous nous sommes tous sentis très fiers, comme si l'honneur de la famille avait été enfin lavé ».

Il s'en va en 1984

Oscar Muller joua à Nantes jusqu'en 1984, remportant les titres de champion de France 1980 et 1983 qui, sur sa carte de visite, s'ajoutèrent à celui de 1977. Cependant, la concurrence dans l'entre jeu s'était intensifiée avec le repli progressif de Baronchelli et d'Amisse et l'éclosion d'Adonkor et de Poullain. Oscar qui avait besoin de confiance pour bien s'exprimer se sentait un peu moins à l'aise et il ne se rebella pas quand son contrat ne fut pas renouvelé, il alla à Rennes où il rejoignit Jean Vincent et Patrice Rio. Il ne retrouva pas en revanche le style de jeu collectif et offensif qui lui convenait et comme l'individualisme n'était pas son moyen d'expression privilégié il s'étiola doucement.

Installé à La Réunion

Il passa ensuite brièvement par Angoulême et il vint achever sa trajectoire de footballeur dans la banlieue nantaise, à Saint-Sébastien.

Et puis, il eut envie d'une autre vie, de soleil et de mer, d'insouciance aussi peut-être. Alors, il mit le cap vers l'Ile de la Réunion. Il s'y installa, ouvrit un petit commerce, s'occupa de différents clubs locaux. « Il venait parfois me voir à Perros-Guirec, dit Francesco. Il me parlait de son cadre de vie et à chaque fois, quand il repartait, je disais à ma femme : « Quand on sera un peu moins pris par notre boulot, on ira lui rendre visite, ça doit être chouette La Réunion. »

Francesco Muller est allé à La Réunion le 19 août mais il n'a eu ni le temps ni surtout le goût d'apprécier la beauté de l'Ile. Les images qui défilaient devant son regard embué par les larmes avaient la couleur du deuil et sentaient l'amertume d'un bonheur perdu. Oscar a rejoint Ramon, le père, l'artiste tant admiré, mort il y a vingt ans, d'une rupture d'anévrisme, sur un terrain de la banlieue nantaise, en disputant un match d'anciens.

B.V.

Oscar Muller était né à Rosario (Argentine) le 28 juillet 1957.
Il a joué à Nantes de 1974 à 1984. Champion de France en 1977, 1980, 1983.
Vainqueur de la Coupe de France en 1979. Finaliste en 1983

Consultez sa fiche sur FCNHisto >>>


(B.V., le 7 septembre 2005)


  Histoires du FC Nantes :

- #21 : Henri Michel : Quiconque a aimé un jour le jeu à la Nantaise… (27/08/18)
- #20 : François Thébaud était un partisan du jeu à la nantaise (03/08/08)
- #19 : Oscar Muller : le foot c'était sa vie. (07/09/05)
- #18 : 2001-02 : Sochaux / Nantes - Quand Devineau était héros. (20/05/05)
- #17 : 1979-80 : Nantes / Lille - le bonjour de José Arribas. (13/05/05)
- #16 : 1978-79 : Nantes / Nice - le triomphe inutile. (06/05/05)
- #15 : 2000-01 : Bordeaux /Nantes - une victoire en 23 ans. (15/04/05)
- #14 : 1984-85 : Vol à Auxerre, la main de Roger Boli (02/04/05)
- #13 : 1997-98 : Victoire sur le fil à Paris (05/03/05)
- #12 : 1961-62 : Thadée Cisowski avait joué à Nantes (02/03/05)
- #11 : 1959-60 : Mémorable carton à Boulogne (01/03/05)
- #10 : 1965-66 : Rue de Strasbourg ? Non : rue Ramon Muller (25/02/05)
- #9 : 1957-58 : Le match le plus long (12/02/05)
- #8 : 1965 : Premier sacre contre Monaco (03/02/05)
- #7 : 1979 : Nantes gagne sa première coupe ! (24/01/05)
- #6 : Larmes et rires à Toulouse. (21/01/05)
- #5 : Nantes / Bastia : Au bon souvenir de Mickaël. (11/01/05)
- #4 : Quand les joueurs sauvaient Arribas (30/12/04)
- #3 : 1963 : Nantes bat Sochaux et monte en D1. (16/12/04)
- #2 : La trahison de Ramon. (04/11/04)
- #1 : Joies et Peines (Gondet et Éon). (28/10/04)

Cette rubrique s'ouvre aux souvenirs, à ces pages qui sont restées dans les mémoires et qui ont fait l'histoire du FC Nantes. Un témoignage d'une autre époque qu'il est bon de rappeler. Pour que le témoin passe de générations en générations, les lecteurs de FCNantais.com peuvent contribuer à enrichir ces belles pages de leurs témoignages en nous écrivant. De la simple anecdote aux souvenirs de grands matchs ou de grands joueurs, n'hésitez pas à participer à cette lucarne ouverte sur le passé glorieux de notre club.


 

 

 
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