1965-66 fut l’une des plus belles saisons du FC Nantes. Mais le
Nantes – Strasbourg de cette année-là fut l’un
des matches les plus acharnés, les plus durs, les plus féroces
allions-nous écrire, qui se sont déroulés à
Marcel-Saupin. Il est vrai que la rivalité entre les deux clubs
allait alors crescendo et leurs rencontres s’apparentaient à
celles de deux écoles, de deux philosophies. Les Alsaciens, entraînés
par Paul Frantz, un théoricien aux idées bien arrêtées
mais un peu courtes, à la poigne de fer aussi, comptaient parmi
les partisans de la défense à outrance et de l’engagement
physique forcené, au même titre que Bordeaux et Lyon. A Nantes,
José Arribas, on le sait, prêchait d’autres vertus,
lesquelles s’appelaient l’intelligence, l’imagination,
la technique, l’offensive.
« Quelle mouche a piqué
Kaelbel ? » |
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Nantes et Strasbourg n’étaient
pas fait pour s’accorder et les Alsaciens le firent sentir
d’entrée aux Canaris lors de leur confrontation du
28 novembre 1965. Le championnat en était à sa 17è
journée et le FCN, déjà couronné la
saison précédente, occupait la tête avec 25
points, un de plus que Valenciennes. Il n’avait encore subi
que deux défaites, la première à Rennes, le
11 novembre, la seconde à Sochaux la semaine précédente.
Strasbourg, lui, était déjà distancé
et il jouait sur la pelouse de Saupin ce qui ressemblait à
sa dernière carte. Sentant qu’ils ne pourraient rivaliser
sur le plan du football pur, les Alsaciens décidèrent
de transformer le match en combat et dès la 3ème minute,
Raymond Kaelbel, un international sur le retour, annonça
la couleur. Il descendit méchamment Bernard Blanchet. La
charge était d’une telle violence qu’un frisson
d’effroi parcourut les tribunes et que l’encre se figea
un instant dans les stylos des journalistes. « Quelle mouche
a piqué Kaelbel ? », tel sera le titre de l’article
qui paraîtra dans ‘France Football ». |
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Marquage à la culotte
Ce n’était pas celle qui endort car les échanges qui
suivirent furent grosso modo du même tonneau, plus les minutes s’écoulaient
plus les tacles partaient haut et comme l’arbitre fermait délicatement
les yeux les Nantais furent forcés de répondre afin d’éviter
d’être broyés.
Bref, le match tourna à la bataille de chiffonniers, avec des Alsaciens
qui, adeptes d’un marquage à la culotte effréné,
suivaient leurs adversaires à la trace, tels les molosses qui guettent
leur proie. Un accrochage entre Szepaniak et Ramon Muller fit monter un
peu plus le voltage de la rencontre, d’autant que le Nantais, qui
avait joué précédemment à Strasbourg, n’était
pas du genre à se laisser faire. « J’ai trouvé
à Nantes le jeu qui me permet d’extérioriser mes qualités,
je suis enfin heureux », avait-il déclaré au cours
de la semaine précédant le rendez-vous. Paul Frantz avait
demandé à ses hommes de lui faire payer ses paroles au prix
cher. Aussi, Szepaniak, commis à la surveillance du talentueux
meneur de jeu nantais, ne le quittait pas d’une semelle et confondait
allègrement ses chevilles et ses mollets avec le ballon.
Des arguments frappants
Mais Ramon Muller possédait un talent fou, une technique de vieux
roublard argentin et beaucoup de malice. Quand il avait décidé
de briller il était difficilement arrêtable. Il était
doté aussi d’une redoutable frappe sur coup franc et c’est
de cette manière qu’il ouvrit le score, d’un tir brossé,
à la 34è minute.
Les Strasbourgeois ne se calmèrent pas pour autant, ils continuèrent
à jouer de la faucheuse, soulevant l’indignation du public
et celle des reporters. Dans « Miroir Sprint », écrira
: « Les 15.000 spectateurs n’avaient jamais assisté
à des gestes aussi dépourvus de toute signification sportive.
Si l’arbitre avait renvoyé Kaelbel au vestiaire, Szepaniak
se le fut sans doute tenu pour dit mais la faiblesse du « referee
» encouragea au contraire tous les mauvais instincts. En ce qui
concerne le football défensif et l’utilisation d’arguments
frappants, les Alsaciens ont désormais dépassé Bordeaux.
»
Le Chenadec signe le KO
En seconde période, Paul Frantz ne modifia pas ses plans, il y
était trop attaché. Il changea cependant les rôles
et c’est Stieber, le malheureux, qui fut désigné pour
empêcher Ramon Muller de jouer. Le problème pour les Alsaciens
est qu’ils encaissèrent un deuxième but, synonyme
de KO, dès la 47è minute. Gilbert Le Chenadec, monté
de l’arrière, surgit à point nommé pour reprendre
un centre de la droite de Blanchet, qui avait échappé une
fois de plus à Kaelbel, et pour l’expédier au fond
des filets.
« Regarde, la cathédrale
de Strasbourg ! » |
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Cette
fois, les Alsaciens baissèrent la tête et la suite
ressembla à une démonstration. Bako Touré expédia
un ballon sur la transversale puis, surtout, Ramon Muller multiplia
les numéros de jonglage à l’encontre de Stieber.
A un quart d’heure de la fin, il le dribbla puis, ostensiblement,
il s’arrêta et au moment où il revenait sur lui
il le dribbla de nouveau. Le cerbère frôlait le ridicule,
il l’atteignit quelques instants plus tard. Muller se présenta
de nouveau face à lui, ballon entre les pieds et, soudain,
il s’arrêta. Stieber restait bloqué, hésitant
à porter son tacle. Alors, Ramon monta les deux pieds sur
le ballon et, plaçant l’une de ses mains sur le haut
de son front, au-dessus des yeux, il fit mine des scruter l’horizon.
On l’entendit alors lancer fort distinctement : « Eh
regarde, derrière toi, tu ne la vois pas ? La cathédrale
de Strasbourg ! »
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La rue de Strasbourg débaptisée
C’en était trop pour Stieber : fou de rage, il se précipita
et Ramon dut prudemment battre en retraite tandis que les autres Alsaciens,
tant bien que mal, ceinturaient leur coéquipier afin de l’empêcher
de se livrer à des exactions qui lui auraient valu l’expulsion.
Le score en resta à 2-0. C’était un minimum. Le soir,
dans les cafés de la ville, on se raconta l’histoire jusqu’à
plus soif, l’enjolivant un peu plus au fur et à mesure que
le muscadet coulait. Ramon Muller n’avait jamais compté autant
de supporters et sur le coup de minuit un groupe de plaisantins, munis
d’une échelle et d’un pot de peinture, alla débaptiser
la rue de Strasbourg. Ils écrivirent à la place «
rue Ramon Muller ».
B.V
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La fiche du match :
Le 28 novembre 1965, à Marcel-Saupin : Nantes bat Strasbourg
2-0.
Buts de Ramon Muller (34’), Le Chenadec (47’).
14.376 spectateurs. Arbitre : Poncin.
Nantes : Eon – Grabowski, Budzynski, Le Chenadec,
De Michèle – Robin, Muller – Blanchet, Gondet, Touré,
Magny.
Strasbourg : Schuth – Hauss, Devaux, Kaelbel –
Stieber, Gonzales, Szepaniak – Gress, Merschel, Farias, Hausser.
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