| L'agent, un acteur parmi d'autres
Quelques complaisances venues des instances nationales et internationales, le comportement cynique de certains dirigeants, d'autres indices de déliquescence du système, discernés ici ou là, permettent d'affirmer que l'agent de joueurs n'est qu'un acteur parmi d'autres de l'affairisme ambiant. Même si la chronique presque hebdomadaire des tribulations de ce bouc émissaire idéal en fait oublier les causes profondes d'une crise qui est loin d'avoir trouvé son épilogue.
Tant que l'argent coulera à flots, une minorité d'agents (la majorité regarde le train passer) pourra prospérer. Est-il si pertinent que cela de s'en offusquer en occultant, dans le même temps, le véritable enjeu de société qui apparaît clairement derrière ce qu'on pourrait qualifier d'écran de fumée ? À savoir, le difficile équilibre restant à trouver entre la dimension sportive du phénomène "football" et celle non moins prégnante de l'économique.
Rappelons que l'agent est, à l'origine, une création sui geeris ; c'est le développement quasi exponentiel du marché des transferts après l'arrêt "Bosman" qui a convaincu, avec un peu de retard, les autorités de réglementer, et donc d'encadrer, cette activité dans un statut légal.
Le règne du flou
Il faut donc, désormais, passer avec succès les épreuves d'un examen organisé directement par la FFF et qui vise à vérifier les connaissances du candidat dans les matières juridiques, autour du droit des contrats et du droit du travail d'une part, et des lois et règlements régissant spécifiquement le sport professionnel, et le football en particulier, d'autre part.
Toutes les informations que j'ai pu obtenir laissent à penser que la sélection se fait surtout à partir de questions portant sur les transferts, ce qui pourrait sembler, de prime abord, légitime mais la confusion et les contradictions régnant sur les règles applicables en la matière rendraient, selon les personnes interrogées, plus ou moins improbables les questions et donc les réponses aléatoires.
En attente d'une harmonisation
Cette exigence nouvelle a, en tout cas, le mérite d'exister et a incontestablement marqué chez ses instigateurs une réelle volonté de moralisation. Cependant, on l'a vu et on le verra encore, cette mesure ne peut dédouaner les responsables de ce sport. Pas plus qu'elle ne peut faire oublier qu'un véritable assainissement ne pourra être sérieusement envisagé qu'après ait été mise en œuvre, et réussie, une harmonisation fiscale et sociale des pays européens, dont seulement un petit nombre attire, par les avantages financiers qu'ils sont en mesure de proposer aux joueurs, les meilleurs d'entre eux.
Comme on le voit, la crise d'identité d'une Europe politique en plein désarroi ne pourra pas, avant longtemps, arracher les racines du mal et rendre ainsi superfétatoires toutes ces combines et ces ficelles tellement grosses qu'on peut s'interroger sur le temps mis par les autorités judiciaires à régir, alors que depuis des années ces dérives étaient un véritable secret de polichinelle.
Si, par extraordinaire, une réforme de ce type devait néanmoins voir le jour dans un futur proche, elle ne suffirait pourtant pas à calmer cette "transférite aigüe" et ses effets pervers dont l'émergence naturelle de compétitions à deux vitesses.
Les amoureux du football laissent encore leur scepticisme aux portes des stades, mais jusqu'à quand ?
Dans cet univers impitoyable, pour paraphraser une célèbre série télévisée, les agents, pour parler de ceux qui travaillent, et ils sont rares, font très vite le constat que, sans une circulation des richesses que sont les joueurs, leur gagne-pain est largement compromis. Comment s'étonner alors que, dans le même temps, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les dirigeants qui tiennent les cordons de la bourse et qui ont, eux aussi, la pression du résultat et de leurs "supporters-clients" soient tentés de faire des coups ou, en tout cas, de spéculer sur les joueurs.
Tous responsables ?
C'est donc, en fait, toutes les composantes de ce sport qui marchent sur la tête et le marché des transferts qui est pris d'hystérie. En réalité, l'agent est autant le symptôme que la maladie ; celle-ci n'épargne d'ailleurs pas le supporter dont la versatilité et l'impatience chronique ne participent pas à leur place qui est la leur à un souhaitable retour à l'ordre.. Il serait, dans ces conditions, aussi ridicule qu'injuste de réserver aux seuls agents une place en enfer sans se soucier de porter un peu plus loin le regard et la réflexion.
Vers un encadrement ?
A ce sujet, les prises de position de Michel Platini, et l'hostilité plus ou moins exprimée qu'elle a soulevée au cœur même du système, ont fini de me convaincre que deux idées, sinon deux projets, s'affronteront dans l'avenir. Il y aura, en effet, l'expression de moins en moins timide (le Président, M. Aulas, en est une parfaite illustration) d'un football inféodé sans nuances où elles seront alors de pure forme aux puissances de l'argent et un sport moins voluptueusement abandonné aux marchands du temple dont l'aléa sportif est forcément l'ennemi à abattre, ou du moins à affaiblir.
Albert Camus, parvenu à une philosophie de la mesure, a écrit dans ses "carnets" : "la morale mène à l'abstraction et à l'injustice..." Que tous ceux qui seront amenés à réfléchir, à proposer et à décider gardent présente à l'esprit cette idée forte afin qu'elle les guide vers une réforme qui ne soit asservie ni à l'intégrisme des fausses illusions ni à la complaisance, et qui fasse enfin que coexistent un mieux déontologique et une fluidité raisonnable du marché des transferts.
Gérard Doré
Avocat au barreau de Nantes
(article paru dans le numéro de septembre du mensuel Breizh Football Pro)
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