Simon se cherchait un job étudiant.Va pour stadier. Il adresse donc un CV à la boîte d'intérim Synergie en août dernier. Aucune réponse. Pourtant, on l'appelle le 16 décembre. Mission : garder le parking des VIP. Le match est à 20 h, mais on lui demande de se pointer dès 16 h30. Ça tombe bien, c'est le jour de la prime de Noël pour les quatre centaines de stadiers mobilisés par le FCNA et employé par son sponsor en chef, la société Synergie, premier sponsor des Canaris en 1970, principal parrain du club depuis 1997. Jusqu'à cette saison, le nom est toujours arboré sur les maillots des joueurs. Le groupe Synergie, dont le siège national est à Orvault, et dont le pédégé est l'UMP Daniel Augereau, c'est du gros calibre. Cinquième boîte d'intérim en France. Un chiffre d'affaires réalisé en France et à l'étranger de 1,06 milliards d'euros en 2006, avec une croissance de 15% vis-à-vis de l'année précédente. Le baratin de la boîte est clair: « Au sein du groupe Synergie, nous portons une attention particulière à la gestion de votre carrière car nous souhaitons que chacun s'épanouisse dans un métier qui lui corresponde. » Poursuivant en français approximatif, la communication maison invite « à venir partager nos valeurs tel que professionnalisme, l'esprit de conquête, le travail d'équipe qui permettent la réussite de chacun au plus haut niveau ». A Nantes, à La Beaujoire, on commencera par le plus bas niveau. Il faut bien nourrir l'ambition.
Ce jour de décembre, il fait super froid. Le chef d'équipe tolère exceptionnellement les gants mais pas le bonnet, interdit à un de ces tacherons douillet des oreilles : « Enlève ça. T'as l'air d'un romano ! ». La qualification de gens du voyage présumé ne relève pas du racisme : c'est juste une question de bon goût bonnetier et c'est tout. Le chef d'équipe signale aux autres qu'un mec à l'essai n'a pas grand chance d'être gardé : « C'est par rapport à son nom. Trop typé romano ». Une obsession. La prochaine fois, penser à prendre une allure d'Islandais. Pour le boulot en faction à la grille du parking, c'est le genre planton impassible. Il faut rester « impeccable », c'est-à-dire mains dans le dos en permanence, avec cet avertissement : « Faut être sérieux. Y'a des caméras partout. On vous surveille tout le temps, les mecs ! On peut vous virer comme on veut ». Des surveillants étroitement surveillés, ça, c'est de la démarche qualité. Espérons que les types qui matent les écrans de contrôle sont eux-mêmes sous le regard permanent de web cams, avec du monde pour visionner les enregistrements et d'autres pour vérifier que le contrôlage a bien été effectitionné. Tout ça, c'est bon pour l'emploi. Séminariste intégré Revenons à la première journée du stadier. Six heures de travail pour pas un rond. On le prévient alors que c'est toujours comme ça : c'est un bout d'essai, pour se familiariser avec les tâches à accomplir. Le benêt, il n'a même pas reconnu son « séminaire d'intégration » sur le tas. En fait, il a effectué le même taf que les autres, mais gratos. L'appel de l'aventure et l'appât du gain sont si forts que Simon revient quand même pour un autre match. Convoqué à 16 h 30 alors que le chef d'équipe ne déboule qu'une demi-heure plus tard. Sur le même parking, deux types sont ce jour-là à l'essai, soit treize heures de travail offerts par ces valeureux contributeurs au chiffre d'affaire du groupe. Mais à l'issue des cinq heures du service, Simon a un cadeau : le droit d'aller regarder le match depuis la tribune officielle. Un cadeau strictement limité au temps du match. A la mi temps, il faut former une haie officielle, garde à vous, mains dans le dos, impeccable, surveillé. Quelques jours plus tard, l'étudiant reçoit sa feuille de paye. Surprise, il n'est payé que 35 euros pour ses cinq heures de travail. En fait, seules quatre heures ont été comptabilisées. A Synergie, on explique au béotien: « Ah bah, c'est normal, vous êtes une catégorie A ». Et une catégorie A, justement, n'est payée que quatre heures, quel que soit le nombre d'heures travaillées... Un petit détail qu'on a oublié de lui préciser au départ. L'étudiant proteste. Joker : on le renvoie au FCNA. Comme c'est l'heure des cours, c'est son père qui téléphone au club. Le responsable des stadiers confirme le coup de la « catégorie A » à horaire limité pour la paye, et ajoute que le reste est compensé par l'énorme privilège de pouvoir assister gratuitement aux matchs. Le père, qui signale incidemment qu'il est accessoirement percepteur aux impôts, se fâche à moitié. Et là, bizarrement, le stadier-en-chef se fait tout miel, au point de proposer à des places gratuites pour aller voir des matchs que le gars du fisc refuse. On ne rigole pas avec la corruption, aux Impôts. Rudi Roussi, La Lettre à Lulu n°56, actuellement en vente dans cette salle, demandez à l'ouvreuse. (*) Tract recto - verso - Bloganou
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