Terrain envahi Les CRS ont pris pied sur le gazon de la Beaujoire. Les stadiers courent dans tous les sens. Mais ils sont débordés. Les supporters ont envahi le terrain. Ils sont pacifiques mais ils veulent crier leur mécontentement trop longtemps rentré, muselé. Ils lancent des slogans et brandissent des banderoles hostiles à Dassault, Gripond et Roussillon. Ils veulent que la tribune officielle les entendent, enfin. Que par le biais des caméras, la France du football les voit et sache que le club ne coule pas dans l'indifférence. Eux, ils sont révoltés. Eux ils sont fidèles. Le guignol agité qui sert de speaker à Canal + et répète inlassablement, depuis plusieurs semaines, que les dirigeants nantais sont excellents et qu'ils font le maximum pour sauver le club, va bien être obligé de constater qu'ici son avis est loin d'être partagé. Que ses niaiseries de complaisance, servies avec la brosse à reluire, ne reflètent pas la réalité, qu'elles n'ont en tout cas aucun effet.
« Retour aux valeurs ! » proclamait tout à l'heure un calicot. Le mercenaire Barthez, symbole du foot-business et de la faillite de cette saison, a dû, s'il est devant sa télé, se demander ce que l'inscription signifiait. Les valeurs ? Qu'est-ce que c'est que ça ? Lui, ne connaît que la sienne, et il fait tout pour qu'elle soit d'abord marchande. Les valeurs du FC Nantes, il ne les a jamais symbolisées. D'autres les ont piétinées, bafouées. Savinaud applaudi Nicolas Savinaud s'est laissé entraîné parmi les « manifestants ». C'est même sa présence qui les a incités à revenir alors qu'ils retournaient dans leur tribune. L'un d'eux porte un maillot floqué à son nom, de loin on a presque l'impression qu'il y a deux Savinaud... Mais ils sont dix, quinze à l'entourer, à le féliciter, à le remercier et on voit l'émotion poindre au coin des yeux du vieux soldat. Les CRS, bouclier en avant, casque vissé sur la tête, matraque battante au côté, essaient de refouler les supporters. L'un de ces derniers a échappé au filet, il reste planté devant la tribune officielle, brandissant son petit drapeau « FCN Fans ». D'autres banderoles jonchent encore le pelouse : « Dassault rend les armes ». Petit à petit, la pelouse finit par revenir verte. L'opération a été spectaculaire mais elle s'est déroulée sans heurts. Il restait trois minutes à jouer et on se demande si la partie va reprendre. L'arbitre Bruno Ruffray a décidé que non. « J'ai pensé que la sécurité des joueurs n'était plus assurée, » arguera-t-il. Baup veut avoir match gagné Et puis les Toulousains n'étaient pas chauds pour revenir, ils savent que le règlement ira en leur faveur . « Et j'espère qu'il sera appliqué », tonne Elie Baup, le « père spirituel de Barthez », ce qui donne une idée de l'esprit qu'il incarne. « Il faudra nous donner ces trois points». Croit-il qu'il les mérite ? La commission de discipline risque pourtant fort de le suivre et c'est bien la seule fausse note de la soirée : l'envahissement du terrain va favoriser Toulouse, qui n'a pas grand chose d'une équipe sympathique. En Espagne, le match aurait repris, un autre soir, Toulouse à dix puisque Ebondo avait été expulsé, et les dernières minutes, plus les arrêts de jeu, auraient été disputés. Mais on est en France et Nantes va sans doute avoir match perdu, ce dont tout le monde se moque d'ailleurs éperdument. Pour un éventuel huis-clos au début de la saison prochaine et le retour des grillages, on verra. Avec des dirigeants à la botte de Thiriez, il faut s'attendre à tout, notamment au pire, il reste que si le club veut se défendre et faire appel à la justice civile, le combat ne sera pas perdu d'avance. L'esprit nantais personnifié par les supporters On n'en est pas là. Pour l'heure, la Beaujoire vient de dire adieu à la Ligue 1 et le FC Nantes qui, grâce à des techniciens et des joueurs d'élite, y a longtemps tenu une place originale, a su, grâce à ses fans, s'en aller, comme il a souvent vécu, de façon peu banale. Nantes est devenue un club et une équipe comme la plupart des autres, soumis aux puissances de l'argent et à leurs aléas, il a des dirigeants et des entraîneurs comme les autres, les premiers faisant valser les seconds, il joue comme les autres, ou peu s'en faut, un buteur en moins. Mais il a encore des supporters qui ne sont pas comme les autres. Le football à la nantaise est mort, tout simplement parce que Nantes ne sait plus le jouer, et non pas parce qu'il est dépassé comme l'a assez naïvement avancé Emerse Faé. L'esprit nantais, lui, demeure. Va-ton enfin comprendre que c'est en s'appuyant sur la philosophie de ce dernier trésor qui nous reste qu'il importe de rebâtir une équipe ? Pas sur les mercenaires de Japhet N'Doram. Pas sur les copains de Barthez, à commencer par Cubilier qu'on voudrait déjà voir vendu (mais ce sera dur !) alors que tout un stade a crié pour que Da Rocha et Savinaud soient conservés. « Savinaud, Da Rocha : après la relégation, la purge, où s'arrêteront-ils ? » interrogeait anxieusement une grande banderole apparue en cours de match dans la tribune Loire. Le public nantais a été frondeur, il a même peut-être franchi un peu les bornes samedi. Des esprits chagrins, des amoureux de l'ordre le lui reprocheront. Mais ces derniers n'ont-ils pas perçu qu'il y avait, outre de l'art, de l'insolence dans le football de Coco Suaudeau ? Et croyez-vous que le vieux magicien, au plus profond de lui-même, n'a pas souri lorsqu'il a vu ce qui est arrivé. Il se peut même que cette révolte l'ait aidé à sécher ses larmes. « Il a fière allure ton Manchester français » Le match, lui, ne laissera pas un souvenir impérissable. Il est vrai que Toulouse, malgré son classement flatteur, est une équipe assez triste, plus prompte à dégainer un tacle à la carotide qu'une offensive bien menée. Il est vrai surtout que le spectacle se situait presque autant dans les tribunes que sur la pelouse. « Le FCN c'est nous, la D2 c'est vous ». « Dassault m'a tué ». « Il a fière allure ton Manchester français ». « Faites comme Barthez, cassez-vous ». « De la Ligue des Champions à la relégation en cinq saisons, voilà votre bilan. » Chaque nouvelle banderole énonçait autant un constat qu'une condamnation de la politique désastreuse menée depuis la prise de pouvoir de la Socpresse. Sur le terrain Nantes ne jouait pas mal, il dominait même assez largement, mais, refrain connu, il se créait très, très peu d'occasions. Et il restait à la merci d'un contre d'Elmander, lequel se montra dangereux, sur une reprise de la tête à la 22è minute. A l ‘approche de la demi-heure, les Canaris intensifièrent leur pression et tour à tour Payet, Saidou et Keserü se montrèrent pressants. Payet blessé, Ebondo expulsé Ebondo, lui, se fit expulser dès la 32è minute pour une agression sur Payet, qu'il ne ménageait pas depuis un bon bout de temps. Les Toulousains protestèrent car l'arbitre avait, immédiatement après la faute, simplement sorti un carton jaune. Ils le firent de façon si véhémente qu'on s'étonne que Bruno Ruffray n'ait pas sévi davantage. Pour Dimitri Payet, le match s'arrêta malheureusement là. Piéroni entra à sa place, provoquant un remaniement de l'attaque : Piéroni et Keserü en pointe, Diallo à droite (en non plus en pointe), Da Rocha à gauche (et non plus à droite). L'ancien Auxerrois eut droit aux sifflets et il n'accomplit rien pour les faire cesser. Lancé par Da Rocha, il contrôla par exemple si mal le ballon qu'il l'expédia dans les nuages (38è). Fred Da Rocha, lui, était applaudi, soutenu, encouragé. Pourvu maintenant que dans quinze jours on n'apprenne pas que Da Rocha s'en va et que Piéroni reste… Ce serait un comble. Un nouveau défi à la logique, autant sportive que sentimentale. Nantes dominateur Toulouse, s'il joue de façon rugueuse et défensive, possède tout de même des joueurs de talent. On a déjà parlé d'Elmander. Jérémy Mathieu, qui réussit d'ailleurs souvent bien à la Beaujoire, possède également des qualités et lorsqu'il mena un contre durant les arrêts de jeu de la première période, il y eut le feu dans l'arrière-garde nantaise. Mauro Cetto se transforma en pompier et s'interposa face à son shoot. Le début du second acte s'opéra alors qu'une immense banderole indiquait « Savinaud et Da Rocha virés pour leur amour du maillot. » Elle suscita une approbation massive. Elmander se créa, tout seul, une nouvelle situation dangereuse (53è, shoot renvoyé par Heurtebis) et puis Nantes s'installa délibérément dans le camp des dix Toulousains. Piéroni ne put, hélas, que faire jauger sa maladresse technique à la 57è minute sur un centre de Keserü et à la 68è sur une passe de Saidou. Sa reprise de la tête d'un centre de Vainqueur fut plus convaincante mais Arribagé dégagea sur sa ligne (70è). Donnez-nous du rêve M. Derzakarian, pas du combat A la 79è minute, Michel Derzakarian se décida enfin à faire entre Savinaud à la place de Vainqueur. Si on dit enfin, ce n'est pas par rapport à ce dernier mais parce que si le coach nantais était plus psychologue Nico-Sav aurait évidemment participé davantage à cette rencontre. Non, M. Derzakarian, « la vie n'est pas un combat », comme vous vous plaisez à le répéter, tel un leitmotiv, c'est d'abord un plaisir, surtout quand on exerce des métiers aussi beaux que footballeur ou entraîneur. Changez votre discours, il n'est pas fait pour nous, pour Nantes, donnez nous du rêve. Transmettez de la joie aux autres, à vos joueurs, au public. Pourquoi avoir infligé un peu plus de frustration à Savinaud ? D'ailleurs, n'avez-vous pas remarqué que Savinaud et Da Rocha apportèrent leurs coups de patte dans les dernières envolées des Canaris ? Sur l'une d'elles, Piéroni décocha une reprise de volée que Douchez stoppa. On en était à la 86è minute. Quelques secondes plus tard, la Beaujoire était envahie.
B.V., le 21 mai 2007
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