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L'Équipe-Blanc : à qui profite le crime ?

(Chronique, le 20 décembre 2006)
 

En annonçant vendredi dernier que Laurent Blanc et Fabien Barthez allaient se retrouver au FC Nantes, « L'Equipe » a publié une page une qui pourrait entrer dans l'Histoire. Comment un journal aussi sérieux a-t-il pu en arriver là ? Et le fait d'avoir été ridicule, et de le rester du moins on l'espère pour le club, lui accorde-t-il le droit d'en mettre plein la figure à Georges Eo ? Ne flirte-t-il pas, pour essayer de sauver la face, avec une certaine forme de malhonnêteté ? (B.V.)

(© 2006) (http://www.fcnantais.com/articles/061220LequipeBlanc.php)


L'histoire entre Laurent Blanc et le FC Nantes est donc terminée : promis, juré, craché, le Cévenol ne viendra pas à La Beaujoire, sinon pour soutenir du regard les parades de son vieil ami Barthez.

C'est mieux comme ça. On l'avait dit : il paraissait malsain que les deux hommes soient appelés à collaborer ensemble dès lors que l'un d'eux, le joueur, aurait intercédé en faveur de l'autre, l'entraîneur. C'est du moins ainsi que les médias, qui nous ont annoncé la « formidable » nouvelle avaient laissé entendre que l'affaire était en passe de se tramer. Et on s'était demandé, dans ces conditions, quelle allait être l'autorité de Blanc sur Barthez et comment l'ensemble du groupe risquait de réagir face à une telle hérésie.

On ne va donc pas se plaindre si Laurent Blanc reste chez lui, il aurait été le troisième entraîneur de la saison, son arrivée n'aurait fait qu'accentuer le marasme dans lequel le club se débat depuis plusieurs mois.

Reste à savoir comment une telle information, démentie ensuite par les principaux concernés, Rudi Roussillon et Laurent Blanc, a pu se propager. Comment un tel scoop a pu atterrir à la une de plusieurs journaux et les décrédibiliser ? Car la presse est la grande perdante dans cette affaire, ses lecteurs qui, déjà, entretiennent souvent une certaine défiance à son égard ne manqueront évidemment pas de condamner une telle pratique. Vouloir vendre c'est bien, mais pas n'importe quoi, de grâce.

Les « unes célèbres » de « L'Equipe »
Dans le genre, « L'Equipe » a égalé ses records. Ce journal, que nous apprécions généralement beaucoup, de par sa qualité d'abord, n'évite pas de temps à autres des excès tout à fait condamnables.

Il publie des séries de « unes » célèbres (il a édité un coffret qui est consacré au FC Nantes), peut-être lui arrivera-t-il un jour de réunir celles qui ont fait rire le pays. Vendredi, il titrait ainsi sur huit colonnes : « Blanc retrouvera Barthez ». L'information, abondamment relayée en pages intérieures, ne supposait pas l'ombre d'un doute. On peut dire que du coup le seul quotidien de sport français a égalé son record du 9 septembre 1993. Ce jour-là, au lendemain d'une victoire de l'équipe de France en Finlande il avait joyeusement claironné, déjà sur huit colonnes : « Amérique nous voilà », tant à ses yeux la qualification des Bleus pour la Coupe du monde 1994, aux Etats Unis, était garantie. On sait ce qu'il advint : Israël et la Bulgarie vinrent gagner au Parc des Princes et les Deschamps, Blanc et autre Cantona suivirent le Mondial américain à la télé.

« L'Equipe » s'était remise de ce sale coup, elle se remettra donc de cette fausse annonce exclusive de « Barthez-Blanc, déjà le retour », tel était le titre aussi alléchant qu'affirmatif de sa page trois. C'est d'ailleurs heureux pour elle et pour nous, même si nous restons bouche bée devant pareille bévue commise par un journal aussi sérieux que nous sommes plus de 300.000 à acheter, et donc davantage encore à lire, chaque matin. Rudi Roussillon est du nombre, il a tenu à le préciser.

Lancée par ceux qui ont eu la tête d'Henri Michel ?
Il est également fidèle à « Ouest France », c'est encore lui qui l'affirme. Or, par malchance ou maladresse, le quotidien de Rennes est tombé dans le même panneau, lui qui pourtant a l'habitude de manier l'éthique avec des pincettes et s'érige, avec ses 800.000 exemplaires, comme le journal numéro un du pays.

Cette mésaventure, endurée également par ceux qui, benoîtement, ont repris les informations sans les vérifier davantage, s'explique difficilement. Quelle est leur source, quels sont, éventuellement, ses instigateurs, et quels étaient leur but ?

Certains évoquent Henri Emile, l'ancien intendant de l'équipe de France, très lié avec Laurent Blanc et qui, il ne s'en cache pas, serait prêt à travailler à ses côtés. A-t-il essayé de précipiter un mouvement susceptible de tourner en sa faveur ? L'homme pourtant a plutôt bonne réputation, il n'est pas considéré comme un manipulateur.

Aussi, d'autres, les plus nombreux, dirigent leurs soupçons vers le Variétés Club de France, une sorte de clan réunissant des noms prestigieux mais qui a fâcheusement tendance à mélanger un peu les genres. Ses têtes pensantes, dont celle d'un journaliste à la réputation incertaine, aiment bien copiner et comploter avec les dirigeants les plus en vue, soit dans les clubs, soit à la Ligue ou à la Fédération. Remarquez ce sont souvent les mêmes.

Henri Michel vous racontera volontiers qu'il a été victime le 1 er novembre 1988, jour où il fut démis de son poste de sélectionneur, d'une machination du Variétés Club de France. Le chef d'orchestre de ce dernier était alors très lié avec Claude Bez et très ami avec Michel Platini. Il lui fut facile d'obtenir la tête de l'ancien capitaine du FC Nantes par le biais du président girondin qui était alors le personnage le plus puissant du football français, ce qui d'ailleurs n'honore guère ce dernier.

Mélange des genres
Notre homme était si lié avec ce cher Bez qu'il figurait dans l'organigramme de « Marine et Blanc », le magazine des Girondins où il avait été pompeusement bombardé « conseiller de la rédaction. » Il n'y aurait rien à redire si parallèlement il n'avait pas été salarié à une radio nationale. On imagine aisément, dans ces conditions, le degré de son objectivité quand il parlait dans cette dernière d'un club auquel il était lié.

Vous direz que son patron aurait pu lui en faire la remarque et lui rappeler quelques règles élémentaires de sa profession. C'est vrai. Mais il bénéficie, ou a bénéficié, d'appuis si puissants, y compris dans les ministères où il oeuvra à ses débuts, et même auprès de l'un des plus hauts personnages de l'Etat, qu'il se sentait suffisamment bien protégé pour ne pas trop s'embarrasser de déontologie.

Il aurait donc contribué à répandre la fausse information concernant Laurent Blanc. Avec quel objectif ? On ose croire que c'est uniquement pour se rendre intéressant ou, au pire, pour rendre service à un ami. Il se peut qu'il ait senti chez Roussillon un Canari qui s'avérerait d'autant plus facile à plumer qu'il appartient à un groupe fortuné, qu'il se trouve aux abois et qu'il aime visiblement se montrer devant les caméras.

Une fuite, voulue ou non, s'est produite, elle a été fatale aux journaux qui n'ont pas compris que le tuyau était pourri.

Qui mentait : un journal qui ne voulait pas perdre la face ou un président refusant de dévoiler ses plans ?
Le jour de la parution du « scoop », Roussillon et Blanc ont donc démenti, chacun de leur côté, avec plus ou moins de conviction. « Ouest France » a publié le lendemain un droit de réponse émanant du FC Nantes, tout en déplorant le fait que son président n'ait pas su présenter « des réponses claires, nettes et précises » à des questions « claires, nettes et précises. » Il est vrai que la concision et la clarté ne s'incluent pas dans les caractéristiques de base des discours du bras droit de Serge Dassault. Mais peut-on lui reprocher de ne pas tout dire en période de transferts, alors qu'il en avait déjà beaucoup trop déclaré cet été ?

En outre, s'il est vrai qu'il n'a jamais pensé à Blanc, du moins ces dernières semaines, il ne lui a peut-être pas déplu de laisser la nasse se refermer autour de ceux qui parfois se complaisent à le titiller. Ecrivez messieurs, écrivez, moi je rigole. Pour une fois !

Saura-t-on un jour si des contacts, au moins indirects, ont existé entre le demi-finaliste de la Coupe du monde 1998 et le patron des Jaunes ? Pas sûr. Mais « L'Equipe », elle, persistait samedi à penser qu'elle était dans le vrai . A ses yeux, c'était sûr et certain, les jours, voire les heures de Georges Eo étaient comptés.

Le ton se voulait si affirmatif et si dédaigneux des démentis publiés de part et d'autre qu'on en arrivait presque à douter. Qui mentait ? Un journal qui ne voulait pas perdre la face ou un président qui se refusait à dévoiler ses plans ? La conclusion d'un article de « L'Equipe » était terriblement péremptoire : « pour vivre un week-end parfait, pour déblayer le terrain pour le duo Blanc-Barthez, les Nantais doivent battre Bordeaux et espérer que Troyes et Nice tombent à Rennes et à Paris… »

On se demande comment Georges Eo a vécu ces instants, « ce week-end parfait », d'autant, on va le voir, qu'à force d'insister le quotidien de sport est devenu lourd et a versé dans des analyses qui n'étaient plus fantaisistes mais devenaient carrément malsaines. Attitude qui n'est guère honorable.

« L'Equipe » maintient sa position

La tension était telle que jusqu'à dimanche le doute resta permis. Roussillon confirmait certes sa confiance en Georges Eo mais on avait l'impression que c'était du bout des lèvres. On se disait : « tout de même, lui qui est déjà traité de menteur par les spectateurs de La Beaujoire, ne peut pas se permettre de proférer une nouveau mensonge de cette taille. Dans le football, il serait ridicule à vie. Il doit au contraire restaurer son image et donc choisir la sincérité. Et quelle serait la réaction du nouveau sponsor, le groupe mayennais Dirickx, dont l'annonce de la venue a correspondu au match Nantes – Bordeaux, s'il s'apercevait qu'il a signé un contrat avec un homme de si peu de parole et qui ferait le lendemain le contraire de ce qu'il a assuré la veille ?» Oui, on se répétait ces évidences.

Mais en même temps, l'ombre d'un doute continuait à planer et dans son compte-rendu de la rencontre de la veille, le journaliste de « L'Equipe » maintenait sa position. On sentait toutefois l'amertume, on n'ose écrire, la malhonnêteté suinter à travers ses lignes, comme s'il s'était fait légèrement souffler dans les bronches pour sa « une historique ». Et comme si son objectif consistait désormais à pousser Roussillon à virer Georges Eo. Et donc à lui donner raison à posteriori et à lui permettre de ne pas passer pour un affabulateur.

Elle demande même la tête de Georges Eo
« L'Equipe » écrivait donc : «  qu'arrivera-t-il en cas de nouvel échec au Stadium samedi prochain ? Le président nantais persistera-t-il à maintenir Eo à la tête du groupe ? Depuis son arrivée, le bilan comptable, deux victoires, cinq défaites, cinq nuls, est catastrophique. L'un des plus mauvais de l'histoire du club. Eo n'est pas seul responsable mais le constat est limpide : son discours, sa méthode ne passent pas mieux que ceux de Serge Le Dizet, débarqué le 20 septembre dernier. Un nouvel organigramme sportif est désormais indispensable et on ne nous fera pas croire qu'en politique avisé le président nantais n'a pas un plan de remplacement dans ses cartons. Ce serait du suicide de s'entêter dans cette voie. Dans l'histoire Roussillon resterait l'homme qui aurait précipité le FC Nantes Atlantique en Ligue 2 après 44 saisons parmi l'élite. Le drame, c'est que le Bordeaux d'hier soir, un peu bouchonné, a sans doute épuisé le crédit de Georges Eo…Les semaines défilent sans que rien ne change. A quand le véritable électro-choc ?  »

En somme, le journaliste appelait Roussillon à lui donner raison. A débarquer Eo, donc, et si possible au profit de Blanc. Vous aurez remarqué l'expression « politique avisé », extraordinairement obséquieuse. « Président, vous êtes grand, vous êtes adroit, faites comme on vous dit, c'est l'entraîneur qui est en cause, uniquement lui, surtout pas vous » affirmait en quelque sorte notre plumitif.

Malsain de demander la tête de quelqu'un pour ne pas être ridicule
On se doit d'éviter de donner des leçons et de respecter l'avis de chacun. Il existe tout de même des bornes à ne pas franchir et on se demande si « L'Equipe » ne s'y est pas hasardée, par deux fois au moins, au cours des derniers jours. Par sa une de vendredi d'abord. Puis par cet article, synonyme d'appel au « meurtre », qui en découle. On peut certes, comme le journaliste de « L'Equipe », se sentir profondément anti-Eo, et même ne rien connaître à l'histoire du football nantais. Ce n'est pas interdit. En revanche il nous paraît malsain de demander la tête de quelqu'un sous prétexte qu'on en a besoin pour ne pas être ridicule, face à ses lecteurs et, accessoirement, à ses patrons.

Pour l'instant, il semble bien pourtant que c'est le destin qui attend notre scribouillard. Laurent Blanc s'est fendu lundi d'un nouveau démenti, sans ambiguïté cette fois, affirmant même que cette histoire l'embête profondément. A présent, en cas de revirement, c'est incontestablement lui qui passerait pour un idiot. Et Roussillon, on l'a dit, pour un vulgaire menteur.

Ils ont de l'amour-propre, ils ne peuvent quand même pas décemment nous faire ça. Tant pis pour « L'Equipe ». Tant mieux pour Georges Eo, et probablement pour le FC Nantes dont le match de samedi dernier a été, on le répète, plutôt encourageant.


B.V., le 20 décembre 2006


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