Quand on se présente chez un marchand de chars
Coach Vahid arrive, nous dit-on, et les fervents du football militaire, engagez-vous, rengagez-vous, nostalgiques d'on ne sait trop quel dictateur, tombent en pâmoison. (*) Pour ce qui est de haranguer les foules, il s'y connaît, il en a souvent fait la preuve à Grimonprez-Jooris et aussi, l'un des rares soirs de victoire de Paris sous son règne, à Saint-Denis, en finale de la Coupe de France face à Châteauroux.
D'ailleurs, il convient de prendre garde, ce type de techniciens est dangereux, puisqu'il est capable d'attirer dans son sillage des esprits qui ont vite fait de confondre le football avec la guerre de tranchées et d'ériger en manière de jouer la défense à tout crin, l'engagement physique outrancier, la violence. La force plutôt que l'intelligence, le claquement des bottes de préférence aux arabesques des artistes. Quand on se présente chez un marchand de chars, cette philosophie est sans doute de nature à faciliter le dialogue.
Ça plaît la discipline
Vahid Halilhodzic possède des réseaux, des admirateurs zélés, peut-être en paie-t-il quelques uns pour assurer sa promotion, il en a les moyens avec les indemnités de licenciement qu'il perçoit régulièrement, et, si on y regarde bien, il ne reste jamais très longtemps inactif. Discipline, discipline, c'est un discours qui séduit toujours les dirigeants en manque d'idées et de solutions. « Je vais commencer par supprimer les play-stations et faire coucher tous les joueurs à 22 heures à peine sonnées, je passerai dans leurs chambres afin de m'assurer qu'ils emmagasinent des forces pour courir demain comme des lapins ! » leur annonce-t-il. « Formidable, formidable ! » lancent-ils, se demandant bien pourquoi leur entraîneur précédent n'avait pas adopté pareil régime. Supprimer les jeux, les plaisirs, couper les têtes qui dépassent, c'est l'ABC, non ? Après, les buts, ça se marque tout seul. Et puis, ça plaît, la discipline pour les sportifs, même à ceux qui ne se l‘imposent pas forcément dans leurs activités.
Quand il arrive, il découvre un champ de ruines
Coach Vahid a donc toujours trouvé preneur. Quand il arrive, il procède d'une manière quasi-immuable : « me voici dans un très grand club avec de très grands dirigeants. Mais c'est un champ de ruines. Les entraîneurs précédents étaient mauvais, les joueurs ne travaillaient pas, la situation est catastrophique. Heureusement, moi Coach Vahid, je suis là. Je suis grand entraîneur et ça va bien s'accorder avec ce grand club et ces grands dirigeants. Mais ça va être dur. Mais vous savez Coach Vahid a pas peur, il a vu la guerre, il a tout gagné, tout perdu, tout regagné et lui jamais démoralisé. Pourtant là, y'aurait de quoi, je vous assure, je n'ai jamais vu une équipe dans un tel état de délabrement. Sarajevo après les bombes, à côté, c'était rien. Coach Vahid n'a pas de baguette magique mais avec son travail, son sérieux, il a déjà fait des miracles ailleurs. Là, si on échappe à la rélégation d'un point, c'en sera un. Il peut pourtant se réaliser, grâce à moi.»
Il réussit à faire illusion
Le discours est éculé, battu et rebattu, il réussit pourtant à faire illusion. Quelques mois, quelques semaines. Car très vite, de plus en plus vite en fait au fur et à mesure qu'on le connaît mieux, les choses se gâtent. Le prédicateur Halilhodzic prêche dans le désert. Ses joueurs ne l'écoutent plus. Il sévit, en renvoie quelques uns au vestiaire, d'autres à la maison. Il finit par se mettre presque toute la troupe à dos. Alors, il lui faut plier bagage. Il n'est pas bête : il attend qu'on le vire, histoire de passer à la caisse, c'est normal.
On sait bien : Halilhodzic a réussi à Lille. C'est tout à son honneur d'ailleurs. Il était allé chercher des joueurs souvent rejetés par d'autres clubs, un Cheyrou qui s'était fait éjecter du centre de formation de Lens, un Cygan qui s'ennuyait à Wasquehal, un Bakari qui ne payait pas de mine, un Wimbée que le chômage menaçait. Personne ne voulait d'eux. Halilhodzic leur a donné ou redonné leur chance.
Ils lui étaient redevables, ils se battaient pour lui, ils lui pardonnaient ses sautes d'humeur, son autoritarisme. Il avait créé un contexte, il en profitait, il l'exploitait, il avait affaire à des joueurs qui avaient faim et qui, pour lui, avaient la reconnaissance du ventre. C'était bien. Mais nulle part ailleurs, il n'a recréé un tel phénomène, lequel d'ailleurs ne peut fonctionner qu'un temps. Sans compter qu'après lui Claude Puel a prouvé que les Lillois n'étaient pas si « petits » que ça, il leur a même appris à jouer au foot, ce qui relève presque de l'exploit dans un club où le football a souvent été axé sur le jeu direct, tradition oblige, elle date des Baratte, Vandooren et Sommerlinck et elle va à l'encontre de la philosophie arribassienne.
Il est grillé un peu partout
Coach Vahid, lui, est allé ensuite de faillite en faillite, même à Rennes qu'il a peut-être contribué à sauver de la descente en 2003 mais où il n'a pas laissé parmi les joueurs un souvenir vraiment impérissable. Après ses échecs à Trazonspor et Al-Ittihad, clubs très glorieux, c'est lui qui l'avait assuré, il est même grillé un peu partout. Y compris en France, où, pourtant, comme il dit, il aimerait tant revenir travailler. « Vahid être si grand entraîneur qu'il ne peut pas rester inactif ! »
Non, bien sûr, il ne peut pas ! Alors, existe-t-il encore en France un club dirigé par des incapables auxquels on peut vendre de la poudre de perlimpimpin en leur faisant croire qu'ils acquièrent de l'or ? Par un président qui jette l'argent par les fenêtres ? Par des commerçants auxquels on présente un ailier qui jongle sur DVD et qui bondissent immédiatement sur le chéquier en jurant qu'ils viennent de se payer Garrincha et Ronaldinho réunis dans le même footballeur ? Par des spécialistes des championnats de Belgique, de Serbie, du Qatar, capables d'acheter pratiquement une équipe en un an, mais composée pour une bonne moitié par des joueurs ayant le niveau de la Ligue 2 ? Est-ce que ça existe ? Un club capable de changer deux fois d'entraîneur durant la même saison et de se diriger ainsi, doucement mais sûrement vers l'étage inférieur, comme tous ceux qui par le passé ont utilisé cette vieille recette, chère aux dirigeants de pacotille, rejetant leurs responsabilités sur les autres ?
Est-ce que ça existe un club pareil ?
Est-ce que ça existe un club pareil ? Ne nous dites pas que vous en connaissez un. Un dernier détail, donné juste comme ça, parce que Coach Vahid dit toujours que ses choix ne sont pas dictés par l'argent. Son salaire à Paris était de 850.000 francs par mois. Si vous ajoutez les primes, les charges sociales aussi, vous arrivez à une somme qui laisse perplexe sur le rapport qualité-prix. Si on voulait être conformiste, on ajouterait même qu'à ce tarif là on doit pouvoir trouver un attaquant susceptible de résoudre les problèmes de nombreux entraîneurs. Ce serait un meilleur placement. A condition évidemment d'acheter du sûr, un buteur qu'on a vu évoluer des dizaines et des dizaines de fois, dans des situations différentes, et dont on connaît à peu près tout. Un vrai renfort, pas une recrue de plus.
B.V., le 6 décembre 2006
(*) Nous avons choisi d'enlever un passage de cet article qui créait polémique sur le forum FCNantais.
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