Scoop : Le gardien de Nantes acheté ! |
Chronique, le 3 février 2006 |
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Eh oui, l'Equipe Magazine n'est pas la seule à avoir des exclusivités. Jean-Jacques Eydelie lui a certes raconté une histoire que personne ne connaissait, l ‘achat par Marseille d'un match à Valenciennes, la corruption de Robert et de Burruchaga. Il a aussi ressorti les histoires de dopage qui laissent penser que les victoires de l‘OM de Tapie auraient mérité quelques enquêtes un peu plus approfondies, y compris celle de la Coupe d'Europe 1993. Mais nous sommes en mesure de révéler à notre tour un grand scandale : l'achat du gardien du FC Nantes ! Mickaël Landreau ? Vous n'y êtes pas :lisez plutôt ce qui suit. |
Scoop, scoop, scoop !!! L'Equipe Mag a sorti un scoop ! Jean-Jacques Eydelie y révèle que Marseille achetait les matches lorsque Tapie était son président. Putain ! quelle nouvelle, on en est tous le cul par terre.
Et ce n'est pas fini ! La semaine prochaine L'Equipe Mag sort un autre scoop : il y avait une caisse noire à Saint-Etienne lorsque Roger Rocher dirigeait la manœuvre. L'hebdo d'Issy-les-Moulineaux prépare même un autre dossier : Claude Bez achetait les bonnes grâces des arbitres en mettant des putes de luxe dans leur lit, la nuit précédant le match. ça va être chaud. Et c'est bétonné puisque c'est passé en justice il y a tout juste dix ans.
Pourquoi s'être tu en 1993 ?
En tout cas, l'évidence coule de source : avec de telles « exclusivités », les ventes devraient grimper en flèche. Il n'est pas douteux non plus que les enquêteurs du magazine prennent des risques considérables. L'affaire Valenciennes – Marseille n'est en effet connue de personne, elle n'a jamais été jugée, et on devine aisément que Tapie, Bernès, Mellick, Robert, Burruchaga et quelques autres de ses glorieux acteurs vont monter au créneau. On imagine leurs droits de réponse. Leurs plaintes, en diffamation peut-être. Leurs menaces si ça se trouve. Ils sont capables de tout, ces gens-là, les journalistes dont Bernès avait projeté la voiture contre un rail, dans un rodéo-auto sur l'autoroute, pourraient en témoigner. Heureusement L'Equipe Mag est un journal prudent. Il prend soin d'utiliser souvent le conditionnel. Il y aurait eu des anomalies…Des joueurs de Moscou auraient été empoisonnés…
D'ailleurs, dans son numéro qui était paru juste après la finale de la Coupe d'Europe 1993, L'Equipe Mag n'avait soulevé aucune restriction, elle ne faisait que chanter haut et fort les louanges des vainqueurs. A l'époque, c'est ça qui était vendeur. Basile Boli était le meilleur défenseur du monde, sa tête farcie d'intelligence valait de l'or, Goethals était le meilleur entraîneur du monde, Barthez le meilleur gardien du monde, Sauzée le meilleur milieu de terrain du monde. Et Tapie, bien sûr le meilleur président du monde. Cela allait de soi.
Comment ça, ils ne savaient pas ?
Eh bien, on est désolé. C'est à ce moment-là qu'il aurait fallu être courageux. C'est après cette victoire-là, en théorie la plus belle qu'il aurait fallu dénoncer toutes les tricheries dont l'OM était coutumier depuis plusieurs années. Aujourd'hui : sortir une affaire qui a été jugée depuis longtemps et où les coupables ont été clairement désignés et condamnés, c'est trop facile. C'est enfoncer des portes ouvertes.
On pourrait nous rétorquer : mais on ne savait pas. Sinon, croyez-le, on l'aurait dit et écrit. Comment ça, ils ne savaient pas. Ils avaient de la merde dans les yeux et des boules quiès dans les oreilles les limiers de L'Equipe Mag ? Car tout le monde savait. Et tout le monde laissait faire. Marseille était trop vendeur et Tapie trop puissant. Il avait été ministre, il détenait des appuis partout, y compris à l'Elysée, il savait menacer les journalistes et même boxer, en toute impunité, ceux qui posaient trop de questions à Moscou où l'OM s'était mitonné une sortie sans risque. Il excellait aussi pour recevoir, parfois sur le Phocéa, ceux qu'il aimait bien, c'est à dire les pseudo-reporters qui répétaient ses paroles comme si c'était l'évangile. Dites Thierry, Eugène, Jacques et Denis, pourquoi vous toussez ? Vous avez oublié les belles croisières ? Les représentants de TF1, de toutes façons, n'avaient guère le choix : ils étaient sous les ordres de Bouygues, lequel était cul et chemise avec Tapie. Le pauvre Pascal Praud, qui n'a pourtant jamais fait de mal à une mouche et possède à la télé un esprit critique aussi développé que le speaker d'une course cycliste grassement rétribué par les organisateurs, avait même failli être viré. Sous prétexte qu'un soir, à Milan, il avait émis la très vague restriction que l'OM ne jouait pas « très » bien. Comment ça, pas « très » bien ? A Milan ! C'est tout juste si Tapie ne l'avait pas expédié à 9 mètres, du puissant coup de pied aux fesses qu'il aurait bien mérité !
Tout le monde jouait les autruches
Quand on dit tout le monde, on ne parle pas seulement des journalistes : les dirigeants de la Ligue d'un côté, Noël Le Graët, de la Fédération de l'autre, Fournet-Fayard, gardaient un silence obstiné, soucieux de laisser croire que le ballon qui a assis leur renommée tournait parfaitement rond, et apeurés eux-aussi à l'idée de s'attaquer à un homme qui avait une plus grande gueule qu'eux. Et le bras long. Les dirigeants des autres clubs jouaient également les autruches. Ceux de Nantes n'avaient par exemple rien révélé des soupçons qui pesaient sur certains de leurs joueurs. On disait que, quelques mois avant d'aller à Marseille, Desailly n'avait pas réagi au quart de tour lorsque Papin lui avait filé sous le nez. Et nul ne voulait trop commenter la piètre prestation accomplie par Vulic au cours d'un autre Marseille – Nantes. Le Yougoslave s'était pourtant montré si emprunté que Coco Suaudeau s'en était étonné. Il n'était pas non plus question de déterrer une histoire que les joueurs avaient pourtant raconté.
Le Guen mouche Blazevic
L'avant-veille d'un match Nantes – Bordeaux, leur entraîneur, Miroslav Blazevic, était arrivé à l'entraînement avec une enveloppe à la main. « les gars, Marseille m'a contacté, je les connais bien car j'ai de bonnes relations, comme vous savez. Eh bien ! Ils nous offrent une grosse prime pour qu'on batte Bordeaux. Cela les aidera à être champion. Alors, samedi, pas de blagues hein : vous vous battrez tous à mort ! » Les joueurs s'étaient regardés, un peu surpris, puis Paul Le Guen avait pris la parole : « Coach, votre argent, je n'en veux pas, vous pouvez le garder et Marseille aussi ! » « Comment ça, tu ne veux pas battre Bordeaux ? Ne me dis pas qu'ils t'ont acheté ? » « Oh si, je veux battre Bordeaux, avait répliqué Le Guen, mais je n'ai pas besoin d'une prime de Marseille pour cela. C'est mon travail et j'aime trop le foot pour tremper dans une affaire pareille ! » Blazevic en était resté coi, il n'était guère habitué à rencontrer des gens honnêtes et sa surprise avait redoublé lorsque les autres Nantais s'étaient rangés à l'avis de Le Guen. Non, ils ne voulaient pas du fric de l'OM. Oui, pourtant, ils viancraient les Girondins. Et c'est ce qu'ils avaient fait. Pour être franc, on ne connaît pas l'épilogue de l'histoire : Blazevic avait-il rendu l'argent aux Marseillais ou l'avait-il gardé pour lui ? On vous laisse imaginer.
Rennais empoisonnés
Mais en 1993, alors que l'Equipe Mag s'enflammait pour l'OM, tout cela était connu. Les joueurs de Rennes avaient été victimes d'une tentative d'empoisonnement au jus d'orange dans le restaurant de leur hôtel. Ils dormaient ensuite sur le terrain, ils avaient encaissé 5 buts et leur président avait eu l'audace de déposer une plainte. Elle avait été classée sans suite.
Les joueurs de Moscou avaient également eu des problèmes avec leur eau minérale, il s'agit d'ailleurs d'un coup classique. On perce la capsule de plastique de la bouteille avec l'aiguille d'une seringue et on injecte un produit nocif. Cela peut-être un genre somnifère, c'est vrai, mais aussi et c'est plus courant, si on ose écrire, « un dérangeur d'intestins ». Ou même un …produit dopant. Encore qu'en football, cette troisième hypothèse se rencontre moins fréquemment qu'en cyclisme par exemple puisqu'une équipe qui aligne des dopés n'a pas automatiquement match perdu. Ce sont les joueurs, et seulement eux, qui sont sanctionnés, à retardement, sous la forme d'une suspension. Ce n'est pas très dissuasif.
Di Meco et Germain échappent au contrôle
Mais Marseille s'était distingué sur ce chapitre dès décembre 1988, à l'occasion d'un match à Nice. A l'époque, le nom des joueurs devant se présenter au contrôle dopage à la fin du match était communiqué aux clubs à la mi-temps. Le délégué avait donc prévenu Michel Hidalgo, alors directeur sportif de l'OM, que Di Meco et Germain avaient été tirés au sort. Le problème est qu'au terme de la rencontre, ce sont Papin et Thys qui se présentèrent. Le médecin s'étonna. « Ah ! mince, on s'est trompé de numéros, prétendirent les Phocéens, Germain a le 6 et Papin le 9, ça se ressemble, Di Meco a le 3 et Thys le 2, ça se ressemble aussi. » Quelle évidence ! « C'est pas grave, intervint le délégué, il suffit d'aller chercher les bons joueurs » « Mais ils ne sont plus au stade » « Comment, dans votre club tous les joueurs ne rentrent pas ensemble dans le car ? « « Si, si, mais pas cette fois, on avait accordé une permission spéciale à Di Meco et Germain, c'est pour cela qu'ils sont partis si vite. C'était prévu. » Le délégué se grattait la tête : « Mais si c'était prévu, leur épouse ou leur compagne est sans doute venue les chercher avec leur voiture, vous n'avez pas l'immatriculation de cette dernière, on pourrait les faire prévenir par la police afin qu'ils fassent demi-tour. » « Ben, non, ils sont partis en taxi.».
Goethals avait été condamné
L'affaire s'arrêta là. Germain et Di Meco ne furent jamais contrôlés, ils écopèrent d'une toute petite suspension de principe. Contre laquelle l'OM, d'ailleurs s'insurgea , assurant qu'ils n'étaient pas coupables de l'erreur commise par leurs dirigeants et qu'ils étaient donc injustement punis. Ben voyons. Cette anecdote démontre à l'évidence qu'on ne s'est jamais dopé à Marseille.
Quant à croire qu'il y ait pu avoir des matches achetés autres qu'à Valenciennes ou Nantes, c'est vraiment faire preuve de mauvais esprit. D'ailleurs Raymond Goethals était comme Tapie : pas homme à tremper dans semblable mic-mac. Ce n'est pas lui par exemple qui durant cette même Coupe d'Europe 1993 aurait acheté les bonnes grâces du FC Bruges, lequel s'était incliné « seulement » 3-0 au Vélodrome et avait été battu chez lui 1-0, résultat ouvrant aux Phocéens la route de Munich. Goethals avait été vu à Bruges, mais chacun sait qu'il était féru de culture et que c'était uniquement pour découvrir les splendeurs de la Venise du Nord qu'il avait effectué le voyage.
L'ennui pourtant est que Goethals avait déjà trempé dans une affaire de corruption en Belgique au-début des années 1980. Il avait été jugé et condamné. Et donc suspendu. Mais la fédération belge ayant eu la largesse d'esprit de ne pas étendre la sanction dans les pays étrangers, Goethals était allé distiller sa science infuse au Portugal. Puis en France. A Bordeaux, chez l'intouchable Bez, puis à Marseille. Oui, vraiment, il était inattaquable, ce cher Goethals et L'Equipe Mag avait bien raison de s'appliquer à le rendre sympathique au travers de multiples articles où les clichés se mêlaient aux expressions alambiquées qui ont fait la gloire de l'homme à la Belga, beaucoup plus sûrement d'ailleurs que ses plans tactiques.
Le gardien de Nantes acheté par le Red Star
C'est donc vraiment un scoop que nous a livré « L'Equipe Mag » et on l'en remercie. Dommage qu'il vienne si tard. Encore une dizaine d'années et ils nous parleront, vous verrez, de la façon dont Aulas traitait les arbitres à Gerland dans les saisons 2000.
Profitons de ce répit qu'ils s'accordent, respectueux de ne pas gêner les puissants, pour vous parler de notre scoop à nous, celui de la tentative de corruption du gardien du FC Nantes. Mickaël Landreau soudoyé ? demandez-vous. Non, rassurez-vous. C'est Lehel Somlay qui a été approché par les dirigeants du Red Star. Ils l'ont invité à laisser passer complaisamment quelques ballons au cours du match entre les deux équipes. Et comme ce gardien originaire de Hongrie est honnête, il a pris l'enveloppe contenant les billets et il est allé la remettre à son président, Jean Clerfeuille. Lequel a prévenu la Ligue. Une enquête a été menée et Somlay a formellement reconnu l'homme qui l'avait contacté. C'est un dirigeant du Red Star. Il a été suspendu à vie et le vieux club de Saint-Ouen a été rayé de la carte du professionnalisme pendant un an.
Ah : un petit détail. Cette affaire, absolument exacte, s'est déroulée en 1960. On ne badinait pas en ce temps-là. Peut-être que L'Equipe Mag va en reparler un de ces jours !
B.V., le 3 février 2006
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