On nous parle d'une page qui se tourne, d'un chapitre qui se clôt. On nous dit également, et c'est vrai, que l'histoire va continuer, et c'est heureux, même si nous ignorons tout des lendemains qui nous attendent. Mais le départ de Mickaël Landreau, en fait, constitue une véritable déchirure, une fracture du cœur.
Car Landreau pour nous était davantage qu'un gardien de but talentueux, le plus brillant sans doute qu'ait jamais possédé le FC Nantes. Il représentait un symbole.
Il s'érigeait comme l'un des derniers défenseurs des valeurs que ce club a longtemps portées et qu'il dilapide tristement depuis quelques années. Il incarnait une joie de vivre et de jouer qui s'étiole de plus en plus sûrement sur les terrains, y compris, hélas, ceux où passent les Canaris. Il est de ceux qui considèrent encore le football pour ce qu'il est, un jeu merveilleux, et non pour l'ennuyeuse machine à faire du fric qu'en ont fait quelques affairistes, du genre Gripond.
Un formidable esprit joueur
Nous l'avons apprécié, nous l'avons aimé et nous lui avons tout pardonné, y compris sa Panenka en finale de la Coupe de la Ligue. Car nous n'avions pas oublié alors, en une fraction de seconde, pour un coup d‘audace raté, un pari insensé, tous les exploits qu'il avait réalisés auparavant. La façon dont il s'était joué de Ronaldinho, dans un exercice du même genre, le boulet qu'il avait expédié au fond des filets de Fabien Cool au cours d'une séance précédente. Nous nous rappelions aussi qu'en ses très jeunes années, avant même de découvrir les pelouses de la D1, Mickaël s'était déjà fait une spécialité de ce genre d'exercice. Même que c'était lui, en principe, qui shootait le premier tir au but. Pour une fois, l'esprit joueur de Mickaël s'était retourné contre lui, mais nous avions compris que le brûler sur le bûcher de la facilité, exercice dont l'essentiel des médias, conformistes et prompts à faire la morale, se sont délectés, aurait consisté à condamner une philosophie et à considérer une fois pour toutes que la rentabilité passe avant le jeu.
Les conformistes l'avaient descendu en flammes
Mickaël Landreau avait raté son shoot ce soir-là, mais il n'avait pas été le seul et nous nous sommes souvent dit que si la majorité des supporters, des dirigeants et des journalistes l'avaient soutenu au lieu de le descendre en flammes, il serait retourner au feu quelques semaines plus tard lorsque Nantes et Paris ne trouvèrent rien de mieux que les penaltys pour se départager, en demi-finale de la Coupe de France. La séance fut une faillite pour les tireurs nantais, qui ne tentèrent peut-être pas une Panenka mais abreuvèrent Létizi de shoots de rossignols. Alors, c'est le PSG qui se qualifia. Et qui ensuite remporta la finale contre un club de Ligue 2, le Châteauroux de son ami Denizot…
Un grand pro avec une âme d'amateur
Mais on n'éprouve guère l'envie aujourd'hui de réécrire l'histoire, pour la simple et évidente raison qu'elle n'en a nul besoin. Elle a été si belle ! Depuis le fameux soir de l'automne 1996 où il prit place dans la cage des Canaris, sur le terrain de Bastia, Landreau n'a cessé de nous enchanter, à la fois par ses talents, son âme de leader, sa simplicité et la fraîcheur avec laquelle il a assumé son statut de star. Comment oublier son geste chevaleresque à l'issue de la finale de la Coupe de France 2000, lorsqu'il demanda à Reginald Becque de venir brandir le trophée avec lui. L'ancien capitaine de Calais avouait encore l'autre jour, alors que les deux équipes s'apprêtaient à se retrouver à Félix-Bollaert, qu'il n'en était toujours pas revenu. Et Ladislas Lozano qui à l'époque s'était fait une spécialité de pourfendre le monde, disait-il frelaté et imbu de lui-même des professionnels, en était resté tout baba. Mickaël lui avait montré qu'on peut être un grand pro tout en conservant une âme d'amateur et en respectant profondément tout type qui chausse une paire de crampons. Son niveau n'est sans doute pas le même, mais la passion, elle, est identique.
Meurtri par le crime commis contre Denoueix
Landreau fait partie de ces hommes, relativement rares, qui savent exercer leur métier avec le plus grand sérieux, sans pour autant justement se prendre au sérieux. Et donc ni subir ou générer l'ennui. Car il ne faut pas s'y tromper, s'il a arrêté tant et tant de penaltys, remporter de si nombreux face à face, c'est aussi parce qu'il avait tout étudié des habitudes et des éventuelles incertitudes des tireurs. Il ne s'en vantait pas forcément mais il travaillait beaucoup, travailler n'étant d'ailleurs pas précisément le verbe qui convient le mieux puisque, on le répète, pour Mickaël le foot et tout ce qui s'y rapporte sont d'abord sources de plaisir. Sa minutie, son désir de tout apprendre, l'avaient rapproché de Raynald Denoueix dont le licenciement fut pour lui un crève-cœur. Sans doute regretta-t-il le manque de courage des joueurs qui ne surent pas alors s'opposer au crime commis par Gripond et il est probable que le triste souvenir de ces événements contribua, trois ans plus tard, à le faire monter au créneau pour obtenir la tête de Loïc Amisse.
Fidèle à une philosophie
Lorsque Denoueix entraînait la Real Sociedad, Landreau prenait certains soirs, avec son copain Nicolas Savinaud, la route de Saint-Sébastien. Il se glissait dans une tribune d'Anoeta et il pouvait constater combien Nantes avait perdu quand un incompétent avait osé virer l'héritier de Suaudeau. Ce n'était pas seulement à un entraîneur qu'il appréciait que Landreau se montrait fidèle, c'était aussi à la saine philosophie qu'il prêchait.
Mickaël se répétait alors que son club de cœur avait d'abord besoin de restaurer ses valeurs de naguère s'il voulait se rapprocher des sommets. Et c'est pourquoi à présent, son désir d'aller voir ailleurs, nous apparaît comme une défaite, comme l'est d'ailleurs souvent un départ.
Nos idées sont veuves
Une défaite pour nous puisque nous allons perdre notre joueur le plus fort, le plus emblématique et peut-être le plus convaincu du bien-fondé des valeurs que nous défendons. Nos idées sont veuves. Ce sentiment de revers se trouve encore accru par le fait que Landreau ait choisi comme destination un club vérolé jusqu'à la moelle, sans véritable avenir ni projet à court ou moyen termes, sinon celui de formuler des promesses jamais tenues. Le PSG, plombé par des déficits à répétition, menacé d'entrer prochainement dans une violente tourmente judiciaire, ressemble à s'y méprendre, sur le plan des structures au FC Nantes. Il appartenait il y a encore peu à un propriétaire qui cherchait un repreneur, sans en chercher vraiment, tout en cherchant quand même. Cela ne vous dit rien ?
S'il allait dans un club qui privilégie le jeu…
Il a fini par en dénicher un, si bien que Landreau doit maintenant parapher son contrat à la fois avec Canal + qui expédie les affaires courantes et Colony Capital qui n'a pas encore totalement investi la place. Mais qui a déjà annoncé que les investissements qu'il avait promis pour améliorer le Parc des Princes sont repoussés à plus tard parce qu'estimés trop onéreux. Les objectifs de Colony Capital, de Morgan Stanley et de leurs acolytes sont d'abord financiers, pour le football proprement dit, on verra plus tard. Cela ne vous rappelle toujours rien ?
La situation aurait pu devenir encore plus ubuesque pour Mickaël si Luc Dayan, l'un des autres candidats à la reprise, avait été choisi puisque l'une de ses premières décisions aurait été de renvoyer Guy Lacombe. Lequel a été à la source du recrutement de Landreau. Ce qui ne l'a pas empêché de montrer, mercredi soir, qu'il possède une conception tout à fait particulière de l'éthique en alignant à Rennes une équipe privée de Pauleta, Kalou, Rothen et Dhorasoo. S'il avait voulu fausser la course à la troisième place qui oppose les Bretons à Marseille, il ne s'y serait pas pris autrement. Bref, on aurait mieux compris Mickaël s'il partait à Barcelone ou Arsenal, dans un club qui privilégie le jeu. Ou même à Milan où la presse italienne l'annonçait début mars. Fallait-il qu'il soit exaspéré par la situation nantaise pour accepter de s'enferrer dans le sac de nœuds parisien ! Même s'il est très argenté et va lui permettre de doubler son salaire.
Une défaite pour le club
Du coup, ce départ est aussi une défaite pour le club. Comment en effet ne pas déplorer que le FC Nantes n'ait pas su conserver un élément de cette envergure ? D'autant qu'il existait une réelle possibilité. Mais le sinistre Gripond avait trop tardé à prolonger son contrat lorsque les discussions furent engagées en novembre 2004. Un président intelligent, avisé, aurait signé un contrat à vie à Landreau, avec une promesse de reconversion dans le staff technique à la fin de sa carrière. Gripond, idées courtes et vue basse, n'a même pas envisagé cette hypothèse à laquelle, nous dit-on, Budzynski avait été le seul à penser. On aurait d'ailleurs aimé, aussi, qu'il songeât, quand il en était temps, à mieux protéger Denoueix plutôt que jouer la carte Angel Marcos.
Rudi Roussillon a essayé, assure-t-il, de recoller les morceaux, de convaincre Landreau de rester malgré la présence de Gripond. Il a même souvent répété qu'il espérait parvenir à ses fins. Mais l'ombre du Croquemort, dont il n'a pas su (parce qu'il ne le désirait pas vraiment) ou pas pu (pour des raisons financières) se débarrasser était trop encombrante et les arguments du président nantais sont restés lettre morte. La désillusion est d'autant plus grande que Toulalan s'apprête lui aussi à aller voir ailleurs. Croquemort est sans doute l'un des rares aujourd'hui à se réjouir du départ de Mickaël et sa joie sadique ne fait qu'accentuer notre détresse.
Un immense gâchis
Défaite pour nous, pour le club et notamment son président, donc. Mais défaite aussi, peut-être, pour le joueur puisqu'il n'a pas trouvé un club réellement à sa mesure, capable de répondre à ses aspirations profondes. Puisqu'il lui faut quitter des couleurs, une ville, une région qu'il aime. Puisqu'il risque de devoir affronter une situation qui, Jérôme Alonzo le lui a rappelé à sa manière mercredi soir, ne sera pas obligatoirement simple.
Nantes et Landreau semblaient faits l'un pour l'autre, ils ont vécu heureux ensemble pendant plus de dix ans, et nous avons partagé leur bonheur. A l'heure où leurs routes divergent, et même si nous savons qu'il en va souvent ainsi dans la carrière d'un joueur de football, nous éprouvons l'impression d'un immense gâchis. Les adieux de Mickaël Landreau sont plus qu'un déchirement et, forcément, nous aurons l'âme et le cœur qui saigneront tout à l'heure quand nous le verrons quitter la pelouse de la Beaujoire sous le maillot nantais. Pour la 333è fois. Mais aussi, surtout, la dernière (à domicile, puisqu'il y aura encore le match à Lens). Trois cent trente trois fois hélas !
B.V. le 6 mai 2006