Delhommeau tenait le ballon
Sur la droite de la défense nantaise, Piquionne avait esquissé l'une des ultimes tentatives foréziennes de la soirée. Qu'importe : Delhommeau s'était précipité, il tenait le ballon, Guillon était accouru en soutien, Landreau n'était pas très loin. Allons, Nantes, cette fois encore, allait se tirer d'affaire, grignoter quelques secondes et ramener un petit mais précieux quelque chose d'un stade qui lui a rarement réussi par le passé, même les grands anciens peuvent en témoigner. C'est ici que la bande d'Henri Michel a encaissé cinq buts par une sombre soirée d'été, ici que Maxime Bossis s'est fait casser une jambe, ici que se sont perdus pas mal de titres durant les saisons 1960 et 1970. Certes les Verts ont perdu de leur éclat depuis cette époque maintenant lointaine, mais les Jaunes ne sont guère plus vernis et s'ils ont évité les plongées en D2 qui ont accablé l'ASSE ils n'en sont pas moins, eux-aussi, laborieusement lancés à la poursuite de leur histoire.
« Je m'excuse auprès de mes coéquipiers »
Mais qu'arrive-t-il ? Delhommeau a voulu transmettre en retrait à Landreau. La passe est trop molle, Piquionne s'est emparé du ballon, il sert Mazure en retrait. L'ancien Caennais est face à la cage, il décoche un obus que Signorino, revenu en trombe, s'efforce en vain de dégager de la tête. Les filets tremblent. Saint-Etienne mène 1-0, c'est mérité. Nantes a perdu, c'est cruel.
Le sort est sans doute injuste pour s'être abattu ainsi, au dernier moment, sans crier gare, sur Pascal Delhommeau. Car si cet enfant de Châteauthébaud, fils d'un footballeur amateur qui agrémenta les beaux dimanches du vignoble, n'est certes pas le joueur le plus brillant du FC Nantes, il est en revanche assurément l'un de ceux qui aiment le plus les couleurs nantaises. Autant, sinon davantage que bon nombre des censeurs qui vont l'accabler. Le match achevé, le visage blême sous une barbe de deux jours, il ne s'est pas défilé au moment d'affronter les médias, exercice toujours délicat quand on vient de commettre pareille bourde et qu'on vous demande de la détailler un peu plus, alors que les images de votre malheur ne cessent de défiler sur l'écran noir qui obscurcit encore vos pensées. « C'était l'erreur à ne pas commettre, je l'ai faite, » lâche le grand Pascal, d'une petite voix brisée par la tristesse. Il ajoute : « Je m'excuse auprès de mes coéquipiers, je suis responsable de cette défaite. » Et puis il s'en va, le sac et le pas lourds, il monte dans le bus encore désert, la plupart des autres n'ont pas eu le temps de quitter le vestiaire. Il est seul, il est abattu, il se retient pour ne pas pleurer.
Une ossature maison jaune
Cet homme-là n'a rien du mercenaire qui esbaudit le supporter aveugle, c'est un joueur de club, honnête, et s'il lui arrive de dégager un peu n'importe comment, de louper un ballon, de commettre une faute inutile, il verse toujours sa sueur jusqu'à la dernière goutte. Il a été formé au FC Nantes et on remarquera que Serge Le Dizet était revenu à Saint-Etienne à une ossature maison puisque neuf joueurs sortis de la volière des Canaris étaient alignés au coup d'envoi. Aussi n'est-ce pas forcément un hasard si son équipe fit preuve d'une homogénéité et d'un esprit de corps très supérieur à ceux qu'elle avait montrés face à Paris. Car si Nantes a été dominé, s'il a concédé de nombreuses occasions, on l'a dit, il n'a pas réellement mal joué. Il a même réalisé en première période des enchaînements intéressants et franchement nous avons vu, à Geoffroy-Guichard, de nombreuses équipes nantaises, y compris des plus réputées, perdre le fil de leur football de manière plus significative que celle-là.
Manque de percussion
Le problème est que, contrairement à Saint-Etienne, Nantes a totalement et presque dramatiquement manqué de percussion. Il ne s'est pas créé d'occasions. Diallo n'était pas dans un bon soir, il a été en outre peu servi dans des conditions favorables. Glombard possède de la bonne volonté mais des limites techniques. Dimitrijevic, malgré quelques petites touches prometteuses, n'est pas parvenu à hausser le ton et, à force de tourner en rond sans mettre Janot et ses défenseurs en alerte, les Canaris ont fini par laisser leurs adversaires prendre confiance, par perdre des ballons qui se faisaient de plus en plus rares et par subir leur pression. Delhommeau et Savinaud, ce dernier face au talentueux Hellebuyck, se sont alors retrouvés à la peine et les brèches se sont ouvertes. Landreau les a longtemps colmatées. Il n'a rien pu faire sur la dernière.
Une bonne entame
Le gardien nantais avait déjà été battu à la 20è minute lorsque Piquionne était venu reprendre un ballon qu'il avait relâché sur un puissant shoot de Sablé. Le juge de touche l'avait sauvé, levant son drapeau pour sanctionner, à juste titre, la position illicite de l'attaquant forézien. Une prise d'avantage de Saint-Etienne à cet instant de la soirée aurait d'ailleurs été imméritée car ce sont les Nantais qui construisaient l'essentiel du jeu. Ils avaient entamé le match sans complexe, avec un Toulalan positionné sur le flanc gauche, Dimitrijevic opérant au centre. Jérémy s'entendait plutôt bien avec un Signorino ayant retrouvé son bel allant de l'automne. Il lui arrivait même d'aller de l'avant et on peut penser qu'il avait été positionné là pour contrecarrer les plans de Feindouno et de Sablé, deux des atouts maîtres des Verts. Mais, revers de la médaille, il se faisait plus facilement éliminer dans le jeu que lorsqu'il occupe une position plus basse.
Terrible pression avant la pause
Nantes en tout cas, répétons-le, soutenait la comparaison. Il fallut toutefois patienter jusqu'à la 28è minute pour que Diallo hérite enfin d'une occasion sur un centre de Signorino. C'est dire si ses actions manquaient de tranchant et Landreau avait déjà dû accomplir davantage de boulot que Janot. Après avoir vu Hellebuyck rater sa tentative (suite à un loupé de Delhommeau, 4è), Mickaël avait sauvé son camp sur un shoot de Piquionne (5è) et il avait repoussé des deux poings un boulet de Feindouno (23è). Diallo démarra encore un poil trop tard sur un nouveau centre de Signorino (29è) puis il se fit surprendre en position de hors-jeu, pour une cinquantaine de centimètres, sur une passe de Dimitrijevic qui avait un peu trop tardé à le servir.
On avait alors entamé le dernier quart d'heure de la première période et il faut reconnaître qu'au fur et à mesure que la pause approchait les actions chaudes se multipliaient devant la cage de Landreau. A la 34è minute, Hellebuyck mystifia Savinaud et renversa le jeu pour Sablé dont la reprise amena le capitaine nantais à une parade déterminante. Ce n'était rien par rapport à ce qui allait suivre. Mickaël s'interposa devant Hellebuyck. Puis, alors qu'il était battu, il vit d'abord le poteau, ensuite la tête de Ca, enfin celle de Faé repousser le ballon. Le tout en une poignée de secondes.
La résistance tourne à l'héroïsme
C'est donc presque par miracle que les Canaris atteignirent le repos sans dommage. Ils n'étaient pas menés au score, ils n'en parurent pas moins ébranlés dans leurs convictions, en tout cas ils ne retrouvèrent jamais leur aisance de début de rencontre et, par manque de lucidité, de confiance et de métier aussi probablement, ils tombèrent dans les renvois à l'aveuglette. Les Stéphanois en profitèrent pour intensifier leur domination. Signorino contra un shoot de Piquionne (53) et Landreau, décidément dans un grand soir, recueillit entre ses bras, en se retournant, un ballon qu'Helder Postiga avait expédié sur le poteau (54è). Le Portugais toucha de nouveau un montant (56è) puis Guillon lui rafla ses munitions sous le nez (62è). La résistance nantaise tournait à l'héroïsme, elle était aussi émaillée de fautes évitables, commises notamment par Delhommeau, et chaque coup franc de Sablé mettait le feu dans l'arrière garde des Canaris.
C'était deux minutes de trop
Presque tout le monde désormais défendait, d'autant plus volontairement que le temps avait fini par s'écouler et que le point du match nul n'était plus un mirage. Quand Emerse Faé décocha le premier projectile nantais de la seconde période il ne restait plus qu'un quart d'heure et, bon gré mal gré, les Verts étaient en train de desserrer leur étau. A part un tir de Mazure, au-dessus de la cible, ils ne se montrèrent d'ailleurs plus réellement dangereux jusqu'à la 90è minute.
Le quatrième arbitre s'avança alors sur le bord de la touche. « Deux minutes » affichait son panneau. Deux minutes et c'était la délivrance, le bonheur. C'était en fait deux minutes de trop.
B.V. le 6 mars 2006.