Une dure leçon de contres

Comme l'assure un dicton éculé : en football, les semaines se suivent et ne se ressemblent pas. Six jours après avoir quitté la Beaujoire en surfant sur les ailes du bonheur, les Nantais ont sombré sur la pelouse de l'Abbé-Deschamps, ils en sont sortis la tête pleine d'idées grises et les sacs de sports alourdis par les quatre ballons qui venaient de terminer leur trajectoire dans les filets de Mickaël Landreau. Sans doute est-il moins ardu de renverser une situation compromise face à Strasbourg que remonter un but encaissé d'entrée sur les bords de l'Yonne…

Il est un autre dicton qui prétend qu'à Auxerre le visiteur a souvent la naïve impression d'être à l'aise, pas dominé dans le jeu en tout cas, et que ce sentiment s'apparente à un véritable mirage car le danger est toujours là qui rôde, en même temps que l'ombre de Guy Roux, ancien professeur diplômé ès jeu en contres. On raconte même que plus la sensation de confort est grande, plus la déconvenue risque d'être sévère à l'heure où s'avance l'addition.

Des contres coups de poignard

Pour les Canaris, celle-ci a été salée. Elle l'était déjà à la pause et à cet instant le score inscrit au tableau d'affichage, 3-0 pour l'AJA, relevait d'une très cruelle extravagance car Nantes n'avait pas du tout été surclassé. Il avait même conçu, notamment sous l'impulsion de Milos Dimitrijevic, plusieurs actions bien construites. Seulement, les Canaris s'étaient offert de coupables distractions défensives et des pertes de ballon intempestives en milieu de terrain. C'est le genre d'erreurs qui ne pardonnent pas à Auxerre : dilapider un ballon alors que vous êtes en situation offensive, donc pas forcément sur vos gardes, se paie souvent cash. La contre attaque s'amorce et elle vous poignarde comme une lame chauffée au rouge. Pour peu que vos lignes arrière déséquilibrées, surprises, aient la consistance du beurre vous imaginez les dégâts. D'autres équipes nantaises, qui jouaient beaucoup mieux que celle d'aujourd'hui, ont connu ce genre de mésaventures face aux troupes de Roux à des époques où ces dernières étaient pourtant moins bien équilibrées et moins talentueuses que la formation entraînée par Jacques Santini.

A Auxerre, on privilégie le football

On a bien écrit talentueuse car il convient de ne pas se tromper : Auxerre n'occupe pas la deuxième place par hasard et Nantes a pu toucher du doigt, ce fut douloureux, la différence qui le sépare en ce moment d'un club qui se situe à la pointe en matière de formation, qui sort des jeunes compétitifs et leur fait confiance et qui, en outre, ne multiplie pas les erreurs de recrutement. A Auxerre, on achète du sûr plutôt que de l'exotique, genre Viveros et Caceres, on compte ses sous, on privilégie le football par rapport au commerce, on ne cherche pas à impressionner le péquin, on ne salarie pas grassement des gens qui ne servent à rien _dis Gripond, pourquoi tu tousses ?_, on préfère investir à bon escient sur les joueurs et le président ne sort pas d'une multinationale dont le siège est à Paris. Auxerre roule devant Nantes, depuis plusieurs saisons maintenant. Et c'est dommage pour le FCNA dont les atouts et le potentiel sont assurément supérieurs (il y avait ainsi moins de 10.000 spectateurs samedi à l'Abbé-Deschamps, alors que l'AJA tient les premiers rôles). Une erreur a dû être commise quelque part, côté nantais évidemment. On a bien peur qu'elle concerne les compétences, autant dire l'essentiel.

Une entame calamiteuse

Mais revenons à notre problème du moment, ce 4-0 sans bavures, qui s'enclencha dès la 2è minute lorsqu'une longue ouverture de Benoît Cheyrou, libre de tout mouvement, laissa Mauro Cetto hésitant et Pascal Delhommeau sur place. Luyindula, lui, n'avait pas tergiversé et, ayant reçu le ballon, il se présenta face à Landreau et ouvrit le score.

Il était difficile de débuter plus mal. Pourtant, Nantes ne se désunit pas, ce fut son mérite, et il enchaîna plusieurs mouvements prometteurs. La face du match aurait d'ailleurs pu changer si Habib Bamogo, au terme d'une action personnelle, avait été plus heureux. Il expédia le ballon sur le montant gauche du but de Cool qui n'y avait vu que du feu (14è).

Les Nantais, qui s'étaient présentés en 4-2-3-1, affichaient alors de réelles ambitions et si Bamogo évoluait seul en pointe, le trio Da Rocha, Dimitrijevic, Diallo (ce dernier sur le flanc gauche, ce qui ne semblait pas lui convenir parfaitement) s'appliquait à bien l'approvisionner. Et même à porter le danger aux abords du but auxerrois. Dimitrijevic, excellent, avait ainsi adressé deux bons centres. Da Rocha n'avait pas exploité le premier et Bamogo s'était fait devancer par un défenseur sur le second. Faé et Ca officiaient à la récupération, ils éprouvaient du mal face à Berson et Cheyrou et ils bouchaient imparfaitement les trous provoqués par les montées des latéraux que le rapide Akalé et l'avisé Lachuer s'employaient au contraire à exploiter.

Une bonne demi-heure pourtant

Les idées d'ensemble étaient donc plutôt bonnes et plus le temps passait mieux Nantes déployait son football. Plus aussi on regrettait l'entame du match calamiteuse. Mais il se peut également que les Jaunes, encore enivrés par leur folle remontée face aux Alsaciens, n'aient pas pris pleinement conscience du danger que représente toujours un contre auxerrois. Akalé leur adressa un avertissement sans frais à la 24è minute. Il se remit en action quelques instants plus tard et servit Pieroni dont le tir de la gauche fut repoussé par Delhommeau. « Le Squale » le renvoya malheureusement directement à l'expéditeur. Lequel reprit et, cette fois, fit mouche. Non sans que Delhommeau, décidément peu en veine, n'ait légèrement dévié la trajectoire du shoot.

On atteignait le tiers de la partie et Nantes se retrouvait devant une mission quasi-impossible. La confiance sembla l'abandonner et son jeu se délita doucement, au fur et à mesure que les tentatives de rebellions individuelles prenaient le pas sur les vertus collectives. Cheyrou et Berson accentuaient leur contrôle sur le milieu de terrain tandis que la défense nantaise desserrait de plus en plus ses boulons, surtout dans l'axe, et menaçait de prendre l'eau à chaque contre offensive icaunaise. Luyindula signa le troisième but à la 39è minute, Patrick Lhermite et son assistant, tous deux mal voyants, ayant négligé une faute de main d'Akalé. C'est ce qui s'appelle boire le calice jusqu'à la lie. L'ex-Marseillais aurait pu marquer une autre fois si Landreau ne s'était interposé alors qu'il se présentait, de nouveau, seul devant lui (42è).

Une seconde période médiocre

Que faire ? Serge Le Dizet pensa qu'il était devenu urgent de limiter la casse et, à la reprise, il fit entrer Loïc Guillon à la place d'Emerse Faé. Nantes présenta alors une défense avec trois « centraux » tandis que Dimitrijevic était descendu d'un cran dans l'entre jeu. Mais en fait, les Canaris commencèrent à jouer un peu n'importe comment, en ordre de plus en plus dispersé, on vit même Mauro Cetto se prendre pour Maradona et se lancer dans une série de dribbles qui s'acheva par la perte du ballon,. et un contre dangereux sur lequel Landreau s'interposa (58è). Bamogo, sur coup franc, testa la sûreté de Cool puis le coach des Jaunes procéda à de nouveaux changements, Savinaud et Keserü succédant à Dimitrijevic et Diallo (71è). Mais il y avait longtemps que la partie était devenue sans espoir et il fallut attendre les arrêts de jeu pour que survienne un nouveau but. Ce fut en l'occurrence le quatrième d'Auxerre, œuvre de Benoît Cheyrou, lequel slaloma entre les piquets de la défense nantaise et ne laissa aucune chance à Landreau.

Pas d'enseignements définitifs

Il serait bien sûr aisé après une telle déroute de tirer à boulets rouges sur quelques individualités. On s'en gardera. Accabler Delhommeau ? C'est une solution mais Pascal n'avait-il pas été l'un des héros du match contre Strasbourg ? Critiquer Leray ? Ce serait facile si Jean-Jacques Pierre n'avait totalement failli contre les mêmes Alsaciens. Faire porter le chapeau à Faé ? D'accord, sauf qu'il s'agissait de son retour et qu'il manquait de compétition. On préfère évoquer une défaite collective et insister sur le fait qu'elle a été moins importante que le score le laisse supposer. On évitera aussi de tirer des enseignements définitifs du genre « cette claque va laisser des traces ». C'est ce qu'assuraient nombre « d'analystes » au soir de la raclée reçue le 20 août par Auxerre à Lens. Cool avait encaissé sept buts et beaucoup avaient alors affirmé que l'AJA aurait du mal à s'en relever et que la succession de Roux s'annonçait mal. Trois mois et demi ont passé et les Bourguignons se portent plutôt bien…

Au fond, les enseignements à tirer de ce dur revers ne sont guère différents de ceux rapportés il y a quinze jours de Marseille. Ils nous disent que Nantes est une équipe moyenne. Simplement moyenne. Surtout à l'extérieur. Et qu'en conséquence l'objectif immédiat consiste à assurer le maintien, Après, éventuellement, on verra. On pense aussi qu'en jouant comme ils l'ont fait à Auxerre, on veut parler de la première période bien sûr, les Canaris, à condition de retenir tout de même certaines leçons, de ne pas, par exemple, bayer aux corneilles durant les premières minutes et, aussi, de récupérer Toulalan, se donneront plus de chances de progresser, à moyen terme, qu'en renouvelant des productions timides, dans le genre de leur sortie au Vélodrome. Où, face à un adversaire moins redoutable, ils avaient glané le même nombre de points.

B.V. le 4 décembre 2005.