Retour d'enfer
Servi en profondeur par Milos Dimitrijevic, Frédéric Da Rocha contrôle le ballon du pied droit. Il esquive Puydebois, sorti à sa rencontre, et il ne laisse pas le temps d'intervenir aux deux Strasbourgeois qui accourent à la rescousse. Tout, autour de lui, n'est que fièvre, dernière anxiété pour les Alsaciens, ultime fol espoir pour les Nantais. Les quatre minutes d'arrêts de jeu sont presque entièrement écoulées, il ne reste plus qu'une poignée de secondes. Le vieux soldat ne tremble pas, il n'a même pas le temps de se souvenir que dans des circonstances assez semblables, c'était un soir du printemps 2004 au stade de France, il avait laissé le trésor s'échapper. Il shoote et expédie le ballon du bonheur au fond des filets. 4-3 pour le FC Nantes ! Sur sa lancée, il fonce vers le pied des gradins où des centaines de bras se tendent pour le féliciter et le remercier.
Sortis de l'enfer
Le temps de réengager, de laisser Guillon remplacer Diallo, de concéder quelques touches pour mieux préserver le butin, et le coup de sifflet final retentit. Les Strasbourgeois, anéantis, restent assis sur la pelouse, prostrés, la détresse peinte sur le visage, le regard perdu dans un vague infini. Les sentiments des Nantais s'inscrivent évidemment à l'exact opposé, c'est la joie qui illumine leurs traits et gonflent leurs mollets tandis qu'ils courent vers les spectateurs pour partager leur ivresse avec des tribunes en fusion. Ils sont aux anges, au ciel, et s'y sentent d'autant mieux qu'ils reviennent véritablement de l'enfer.
Car l'enfer, il y étaient, à peine une heure plus tôt, à la pause, alors qu'ils regagnaient leur vestiaire, sous les sifflets, le pas lourd et la tête basse. Ils étaient menés 2-0. 2-0 face à la lanterne rouge qui n'a pas encore gagné le moindre match cette saison. 2-0 contre une équipe dont le dernier but remontait au 2 octobre.
Strasbourg mène 2-0
C'était assez désespérant. Mais après un petit quart d'heure prometteur, marqué entre autres par deux belles passes de Jean-Jacques Pierre, les Canaris étaient tombés dans le travers de mauvais choix et de passes imprécises. On aurait pu dire qu'ils jouaient mal, en fait c'était presque plus grave : ils donnaient l'impression de ne pas jouer du tout. Ils semblaient manquer d'envie, d'idées, de jambes. De tout en fait. Dimitrijevic ne pesait pas sur le jeu, Savinaud ne récupérait pas grand chose, Keserü se montrait maladroit et mal inspiré.
Alors Strasbourg était progressivement sorti de sa coquille, d'autant que les premiers sifflets avaient retenti à la 31è minute. Ils soulignaient une passe désastreuse de Pierre à Capoue. Pagis, par deux fois, avait tiré à côté. L'avertissement était sans frais, l'ennui est qu'il n'avait pas été entendu et bientôt deux buts s'abattirent sur le crâne de Canaris sans réaction. Le premier fut la conséquence d'une faute de Signorino sur Alexander Farnerud dont chaque accélération posait aux Nantais des problèmes apparemment insolubles. Mickaël Pagis transforma le penalty en prenant Landreau à contre-pied (38è). Juste avant la pause, le gardien canari sauva les siens en repoussant une tête d'Alexander Farnerud. Mais là encore, ce ne fut qu'un sursis. Sur le corner qui suivit, Alexander Farnerud adressa un centre au deuxième poteau qui permit à Diané de prendre le meilleur sur Pierre. Et de signer le but du 2-0.
L'influence de Dimitrijevic
C'était dur, cruel, mais pas forcément injuste et on aimerait trouver le spectateur qui à cet instant, et compte tenu de ce qu'il avait vu précédemment, croyait encore au renversement de situation. C'est pourtant un Nantes revigoré qui se présenta à la reprise, avec Bamogo à la place de Keserü pour jouer aux côtés de Diallo, puisque Le Dizet avait conçu un plan de jeu plus audacieux qu'à Marseille, avec deux attaquants et un Dimitrijevic évoluant davantage dans son registre. Il ne lui était pas demandé de récupérer mais de mener le jeu et c'est lui qui sonna véritablement la révolte. Il avait été anonyme jusque là, il devint impérial, allumant les offensives à coups de passes lumineuses et se découvrant un souffle de quasi-marathonien.
Signorino qui n'avait pas affiché en première période son dynamisme des dernières semaines retrouva lui aussi ses qualités et sa force de frappe. A la 48è minute, sur un ballon mal renvoyé par la défense alsacienne, il décocha, de 25 mètres, pratiquement le même boulet que face à Nancy quinze jours plus tôt.
Merci Delhommeau
Cette fois, le ballon ne fit pas trembler les filets, il ricocha sur un poteau puis sur l'autre et revint en jeu. Mais qu'importe : Delhommeau était là et du plat du pied il inscrivit le premier but de sa carrière en 122 matches de championnat.
2-1, le sentiment qu'un miracle était possible commença à naître. Il était dit cependant que rien ne serait simple et que ce match serait complètement fou. Une minute plus tard, une transversale de Lacour laissa Pierre les pieds scotchés au sol et aboutit sur la poitrine de Pagis, embusqué derrière lui. L'avant-centre strasbourgeois marqua de l'intérieur du pied droit son deuxième but de la soirée.
Tout était à refaire et Serge Le Dizet réagit à son tour en demandant au piquet qui s'appelait Jean-Jacques Pierre de laisser sa place à David Leray. Il s'agissait d'un remède d'urgence mais il n'aurait peut-être pas eu d'effet véritablement bénéfique si Pascal Delhommeau n'avait réalisé un sauvetage qui équivalait quasiment à un nouveau but. Il écarta à la 51è minute un ballon que Pontus Farnerud, ayant dribblé Landreau, envisageait déjà de pousser au fond des filets.
Deux buts en 4 minutes.
Le Squale avait préservé la mèche de l'espérance. Elle se transforma en flamme lorsque le talent de Dimitrijevic souffla pour l'attiser. Bamogo y mit lui aussi du sien en reprenant acrobatiquement et victorieusement un centre de Milos. Il ramena ainsi le score à 3-2, on en était à la 56è minute. Quatre minutes plus tard, Dimitrijevic ne laissa à personne d'autre le soin de faire parler la poudre, même si Bellaïd toucha au passage le tir qu'il décocha après un échange de passes avec Diallo.
3-3, Nantes avait rétabli la situation et le public exultait, ravi d'avoir retrouvé le parfum des exploits d'autrefois. Certes, en face ce n'était que Strasbourg, il fallait tout de même le faire. D'autant que les Jaunes poursuivaient sur leur lancée et l'enthousiasme qui les transcendait semblait d'autant plus fort que leur inertie avait été profonde en première période. Dimitrijevic se prenait toujours pour Henri Michel, celui des jeunes années, et même Capoue découvrait la lucidité au moment de centrer. C'est lui qui, à la 72è minute, déposa sur la tête de Diallo le ballon du quatrième but. Doudou ne rata pas l'aubaine. L'ennui est que l'arbitre assistant avait levé son drapeau. A tort !
Bamogo rate un penalty
Trois minutes passèrent, le temps pour Landreau de stopper un shoot de Pontus Farnerud, et tout le stade crut que l'invraisemblable allait se produire. Bamogo, intenable, comme dopé par le bon match qu'il avait réalisé la semaine précédente à Marseille, feinta Puydebois et adressa un centre en retrait que Diallo s'apprêtait à reprendre lorsqu'il fut bousculé par Boka. Penalty. Bamogo voulut s'ériger en justicier et il plaça le ballon dans le coin gauche de la cage strasbourgeoise. Or, Puydebois s'était détendu du bon côté et il détourna en corner.
C'était un rebondissement de plus dans une rencontre où les émotions n'en finissaient décidément pas de se multiplier.
Une seconde historique
Les Alsaciens espérèrent quasiment jusqu'au bout qu'il s'agirait du dernier. Il leur fallut cependant endurer la sortie prématurée, sur carton rouge justifié, de Boka (82è minute). Et Nantes qui continuait à montrer son bon visage, qui s'était transformé en docteur Jeckyll après avoir fourni du foot à la Mister Hyde, Nantes donc allait toujours de l'avant. Seul le temps qui filait de plus en plus vite paraissait en mesure de briser son bel élan. Mais soudain, ce fut comme s'il suspendait son vol, à la seconde où Dimitrijevic glissa le ballon à Da Rocha. Une seconde de quasi-éternité qui, estima Serge Le Dizet, entrera dans l'histoire. « Les joueurs se souviendront de ce match là pendant toute leur carrière, » assura-t-il en riant d'autant plus gaiement qu'il avait eu sans doute très peur. Comme tout le monde !
B.V. le 28 novembre 2005.